Les peuples et les serrures n'ont apparemment rien en commun. Mais en y observant de plus près, on s'aperçoit que tous les deux ont besoin d'une même chose : des clés. Cependant, comme chaque serrure à sa propre clé, aussi chaque peuple a la sienne. La clé du peuple s'appelle “la communication”. C'est en regardant par le trou de la serrure du peuple qu'on peut voir les douleurs qu'il cache, car les grandes douleurs sont toujours muettes. Il arrive qu'un peuple s'ouvre en donnant la clé de son bonheur ; déçu, il change de serrure. S'il le fait, il pourra devenir “Un fond des mers, peuplé de monstres insolites », comme le dit Henri Bosco. « Contenter le peuple et ménager les grands, voilà la maxime de ceux qui savent gouverner », conseille Nicholas Machiavel. Faire le contraire risque de décevoir le peuple. Mais comme pour nous rassurer, Jean Jacques Rousseau voit que « Les peuples ainsi que les hommes ne sont dociles que dans leur jeunesse, ils deviennent incorrigibles en vieillissant ». Notre peuple est encore jeune. On a donc encore le temps de corriger car « On a toujours assez de temps quand on en fait un bon usage », précise Goethe. Les vieilles serrures et les lourdes clés, de jadis, ont disparu. Nos enfants, déjà ne les connaissent guère. La technologie de leur époque a inventé les clés digitales et les serrures qui s'ouvrent à l'infrarouge, à l'empreinte et même à la rétine. Ce développement a fini par atteindre les serrures des peuples. La musique est une de ces clés. Hélas, notre peuple a inventé une musique qu'il ne peut même pas écouter en famille. Le ton est bruyant et les paroles sont souvent indécentes. On l'a laissé faire. Or, Platon prévenait que « Si tu veux contrôler le peuple, il faut commencer par sa musique. » Avec le soleil que Dieu accorde presque toute l'année à notre beau pays, nous avons donc beaucoup de lumière. Et selon Victor Hugo, « La lumière crée le peuple, la nuit enfante la plèbe ». Nous avons et les hommes et les moyens d'écourter la nuit. On a tellement excité nos passions qu'on a perdu la raison. On a égaré nos clés. On n'arrive plus à ouvrir nos serrures bouchées par nos divisions. « Le bois dont l'homme est fait est si courbe qu'on ne peut rien y tailler de bien droit », se plaint Emmanuel Kant. Il ne faut cependant pas désespérer car des siècles avant lui, Confucius enseignait à ses disciples que : « Pour un champ de blé, il faut travailler un an, pour un pommier dix ans, pour un homme toute une vie.» Quant à Alexis de Tocqueville, il a depuis longtemps conseillé au peuple de ne compter que sur soi. Il rappelle aux gouvernants de son époque que : « Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer, peu à peu, les peuples à se passer de lui. » Enfin méditons sur cette histoire. Un jour de printemps, avec un air léger et une brise caresseuse, un père, revenant de son labeur, voulut faire plaisir à ses enfants. Il prit quelques miettes de pain et les jeta devant sa porte aux dizaines d'oiseaux qui volaient aux alentours. Les oiseaux picoraient et les enfants étaient émerveillés de voir autant de superbes créatures devant leur porte. Le lendemain, ce sont les enfants qui jetèrent les miettes. Et ils prennent plaisir à le faire tout le printemps, tout l'été et le début de l'automne. Mais quand il commence à faire vraiment froid, les enfants ne sortent plus. Alors, il n y'a plus de miettes. Mais, habitués aux miettes, les oiseaux ont perdu le reflexe d'aller chercher les vers de terre qui les nourrissaient si bien. Pire, à force de compter sur les fournisseurs de miettes, les oiseaux n'ont pas, cette année là, effectué la migration naturelle vers les pays chauds. L'hiver s'installe. La neige les surprit. Les oiseaux commencent alors à tomber morts. Les enfants, coincés eux aussi par le froid, se contentent d'observer par le trou de la serrure les oiseaux morts de froid et de faim. L'hiver passa. La neige fondit. Les enfants découvrent alors avec une grande tristesse, les chétifs ossements et les belles plumes des oiseaux qu'ils prenaient un malin plaisir à nourrir à force de miettes.