Selon une enquête menée par un groupe de chercheurs en anthropologie (du groupe de recherche en anthropologie de la santé de l'université d'Oran, GRAS) sur la vie des jeunes (étude, chômage, famille, santé et sexualité), il est souligné que se sont les jeunes chômeurs ou ceux exerçant des emplois précaires et sous rémunérés qui semblent intégrer de façon dominante et quotidienne, les coins de rue ou les cafés. Il s'agit “ moins d'un attachement qui les conduit à opter délibérément pour ces deux espaces de socialisation que d'un repli s'imposant davantage comme une contrainte sociale. Iles représentent les seuls endroits qui leur permettent de nouer des liens sociaux avec leurs copains” selon cette étude. Les récits de vie racontés par des jeunes, “montrent bien la récurrence des propos des jeunes concernant leurs activités quotidiennes. En sortant du domicile familiale vers 11h ou 12h, le jeune chômeur se positionne dans un coin de rue " espérant qu'un copain veuille bien lui prêter 20 ou 30 da, ou l'inviter à prendre du café accompagné d'un joint ". Contrairement à des idées reçues, “ ces espaces de socialisation par défaut ne sont pas identifiés par les jeunes comme leurs territoires conquis de façon autonome et offensive” ”le coin de rue” et le café les accueillent sans rien exiger d'eux en termes d'éthos scolaire et culturels. S'ils deviennent leurs espaces permanents, c'est parce que les autres champs du possible leur sont tout simplement fermés ou interdits pour des raisons financières et culturelles " selon l'enquête. De façon pertinente un jeune dira que " tous les hitistes (ceux qui tiennent le mur) n'ont pas le même statut, le mur du chômeur n'est pas celui de l'étudiant, même s'il ne travaille pas encore. Le coin de rue et le café deviennent des espaces obligés pour ces jeunes. Ils leur permettent de “tuer” le temps soumis à aucune contrainte majeure, essayant de fuir une situation précaire et sans issue. Le café et le “coin de rue” autorisent : dans le premier espace, il est possible de s'adonner pendant des heures, aux jeux de cartes et aux dominos sans aucune restriction que celle de consommer des cafés. Dans le coin de la rue il est possible de ruminer leurs contraintes quotidiennes réciproques mais aussi de rêver à un ailleurs jugé plus clément pour y exercer une activité professionnelle qui leur permettrait d'acquérir des biens sociaux (voiture, appartement..). Lit-on dans le récit Aussi, “le hitiste” émerge à partir d'une histoire sociale. Elle est occculée dans les jugements rapides émis sur le comportement du jeune qui s'accroche à ce “coin de rue”, les récits de vie montrent que le jeune n'est pas né “hitiste” mais il le devient parce que son destin social bascule de façon négative, après une série d'échecs scolaires ou professionnels et qu'il semble regretter ultérieurement. Il a alors, une nette conscience de sa relégation sociale et scolaire. “On est rien” estiment ces jeunes. Les trajectoires des jeunes “ soutenant le mur,” montrent enfin, leur isolement social dans leur quartier. Il ne représente pas un espace social homogène même si la solidarité des jeunes peut s'exprimer de façon temporaire à l'occasion d'événements (mariage, décès). Contrairement à l'idée d'une sociabilité sans failles dans le quartier, les récits de vie montrent les divisions entre jeunes. Certains d'entre-eux sont amenés à le fuir, et à étiqueter de façon négative certaines pratiques sociales dominées par la cigarette et la drogue, notamment “le kif” est souligné dans le récit. “Personne ne nous soutien sauf le mu disent souvent les jeunes.” Cette expression récurrente des jeunes chômeurs traduit la fermeture et la distanciation des institutions sociales et économiques à leur égard. “On dirait que c'est écrit sur note front ; individu dangereux à ne pas aider, à ne pas recruter” La fabrication sociale de la délivrance est plus accentuée dans les quartiers stigmatisés caractérisés par la pauvreté extrême, un habitat précaire (des grottes) , conduisant cette catégorie de jeunes à exprimer ouvertement un sentiment d'injustice. Parce qu'ils ne sont pas reconnus socialement, vivant souvent, à la marge de la société, ils inventent leur “propre normalité”, leur monde social, en affirmant que leur métier est de voler et d'agresser. Pourtant, l'écoute attentive de ces jeunes qui s'adonnent de façon radicale à la drogue, à la cigarette “je me brûle le cœur”, conduit l'observateur à relever cette forme sociale de destruction de soi qui leur semble liée à la violence institutionnelle dont ils sont quotidiennement “l'objet” selon toujours, l'enquête réalisée par le GRAS Un temps libre en dehors de l'impératif Selon toujours les chercheurs du GRAS, “les jeunes chômeurs décrivent leur temps libre comme un temps vide. Que faire du temps libre ? Ne rien faire durant des heures, conduit les jeunes chômeurs, à une forte dépréciation et dévalorisation de soi. ne rien faire, est identifié souvent à n'être rien” dans la société je me suis senti d'une part très mal en voyant ces jeunes bien habillés, se rendre à l'école et d'autre part , j'enviais ces jeunes. J'ai ressenti pour la première fois, une forte jalousie” a avoué le jeune Mohamed. Faire face quotidiennement au “vide”, traduit leur profond désarroi et leur mal-être social. Les trajectoires sociales montrent que le temps trop libre conduit les jeunes chômeurs, à se laisser conduire dans les lieux de non-gestion du temps, où l'on peut rester des heures sans aucune contraintes majeure “coin de la rue où café.” Je ne gère pas mon temps, c'est le temps qui me gère " selon un chômeur. “Le temps est toujours un temps social, qui rappelle l'identité de la personne. Qui est-elle ? et surtout que fait-elle ? " est il noté dans le récit “Autrement dit, leur rapport au temps renvoie nécessairement à leur existence sociale qui ne semble pas avoir de sens. Rien de comparable avec le temps des étudiants soumis à des contraintes précises qu'il faut absolument gérer et maîtriser, en intégrant les incertitudes et les aléas du transport, pour ne pas manquer les cours. Le temps est ici un temps " institutionnalisé” normé et soumis à des impératifs importants. Dans les trajectoires des étudiants, les journées décrites, sont extrêmement chargées. Il y a peu de moments vides. Pour les filles, le travail domestique-même pour les internes vivant à la cité universitaire- “remplit” le temps qui n'est pas consacré aux études. Les garçons étudient certes mais, pour beaucoup d'entre eux, l'investissement du temps dans une activité commerciale et informelle, semble dominer particulièrement pour ceux d'origine sociale modeste. Certains, suivent uniquement les travaux dirigés pour pouvoir exercer dans le secteur informel, selon toujours l'enquête F. A