Selon l'historien français, le projet risque de connaître le même sort que le processus de Barcelone pour avoir tourné le dos aux questions des droits de l'homme et des projets de développement des pays de la rive sud. Et si l'Union pour la Méditerranée courait, comme le processus de Barcelone, à son échec ? Cette perspective n'est pas une prophétie d'un homme politique, comme Al-Kadhafi, le président libyen, qui a tourné le dos à cette entité dont on célèbre dans deux mois le premier anniversaire de sa naissance, encore moins d'un pays comme l'Algérie pour avoir exprimé publiquement des réserves, mais d'un spécialiste de la géopolitique, le géographe et historien français, Yves Lacoste. Lors d'une conférence, animée jeudi au Centre culturel français d'Alger, Yves Lacoste n'a pas caché ses craintes de voir le projet, cher à Nicolas Sarkozy, connaître le même sort que celui du processus de Barcelone. “On redoute que ça soit le même échec”, dit-il. Raison de ses appréhensions ? “Ce n'est pas une UPM des droits de l'homme et de l'immigration, mais des autoroutes de la mer et de la pollution de la Méditerranée”, relève-t-il, entre autres, sans pour autant égrener tous les facteurs susceptibles de conduire à l'impasse. Il ne manque pas d'ailleurs de rappeler que le projet, déjà en amont, a suscité des rivalités franco-allemandes puisque Angela Merkel a réussi à imposer l'élargissement de l'entité à tout l'espace Schengen alors que préalablement, elle devait réunir les pays du pourtour méditerranéen. De l'union de la Méditerranée, le projet s'est mué en Union pour la Méditerranée. Dès lors, les enjeux géopolitiques, déjà multiples et dangereux dans l'espace méditerranéen, deviennent plus complexes. Fin connaisseur des pays, directeur de la revue Hérodote, Yves Lacoste, qui a enseigné en Algérie dans les années 1950, s'est penché durant deux heures sur la géopolitique de la Méditerranée, un concept dont il observe qu'il renvoie à des rivalités de pouvoir ou d'influence sur des territoires. “Les problèmes géopolitiques en Méditerranée sont très compliqués”, décrète-t-il. Et s'il relève que les contrastes entre le Sud et le Nord sont très marqués dans la partie occidentale du bassin méditerranéen en raison de l'histoire coloniale, mais où les rapports sont très importants à cause des flux migratoires, en revanche, ils le sont moins évidents dans la partie orientale. “L'originalité de la Méditerranée occidentale, ce sont les rapports entre les deux rives. Les relations en sont très importantes.” Il observe dans ce contexte, “l'homogénéité” du Maghreb sur l'héritage historique, mais inexistant en tant qu'entité de nature à peser dans les rapports géopolitiques. “Il est évident que l'UMA correspond à un héritage historique depuis le Moyen Âge. Les pays du Maghreb ont la même conception de la religion (en majorité rite sunnite) (…) On croyait qu'ils allaient s'entendre au lendemain de l'Indépendance (…) mais l'UMA n'existe pas réellement”, estime Lacoste. Considérant que les phénomènes migratoires posent des problèmes (il cite le cas des attentats de Madrid et de Londres, œuvres de personnes issues de l'immigration), Yves Lacoste n'en pense pas moins que l'espace méditerranéen subit aussi les contrecoups de problèmes de puissances extérieures à la Méditerranée. Et rien de plus édifiant que le problème israélo-palestinien où s'affrontent beaucoup d'enjeux, de luttes d'influence entre beaucoup de pays. Lacoste, à coups d'arguments historiques, a décortiqué le rôle de chaque pays dans cette région orientale de la Méditerranée en relevant aussi l'influence de plus en plus grande, dans la région, d'un pays comme les Emirats. Mais la situation reste dangereuse. “Netanyahu mène une politique de courte vue”, observe-t-il.