Le jury du festival, présidé par Taha El Amiri, a attribué le Grand Prix au Théâtre régional de Béjaïa, pour son adaptation faiblarde de l'exceptionnel roman les Vigiles du regretté Tahar Djaout. Les lendemains de festival sont comme des réveils avec une gueule de bois. En plus du mal de tête atroce et de la fatigue, il y a un vague souvenir de la soirée précédente, une impression d'étrangeté et un sentiment de vide. Le festival s'est terminé après une dizaine de jours très intenses. La cérémonie de clôture a eu lieu, jeudi dernier, au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, en présence de la ministre de la Culture, Khalida Toumi, du commissaire du festival, M'hamed Benguettaf, et d'un grand nombre de personnalités arabes et algériennes du 4e art. Après un spectacle théâtral dédié à la Palestine et une brève allocution de M. Benguettaf, le jury a révélé son choix. Toutefois, l'incompréhension a été très grande vis-à-vis de certains primés, compte tenu de la qualité des représentations. Retour de A à Z sur ce festival qui n'a pas tenu toutes ses promesses : A comme arabe : Le Festival national du théâtre professionnel a, depuis sa création en 2006, une dimension arabe occultée puisqu'elle n'est pas dite ouvertement. En effet, le jury compte parmi ses membres plusieurs personnalités arabes ; les hommages qui sont rendus annuellement aux artistes arabes, et puis il y a les invités de plusieurs pays arabes, qui s'offrent ainsi des vacances à Alger. C comme compétition : La compétition de cette année a été serrée, non pas parce que le niveau était haut, mais tout simplement parce que les pièces se rapprochaient dans leurs incohérences et moments difficiles. Du 24 mai au 4 juin, nous avons été éblouis dans tous les sens du terme : par la qualité de Qadi Eddil, Noun, Massra et Likaâ Maâ…, et la médiocrité de Les Vigiles, Allet El Ghela ou encore La Spirale. D comme danse : La danse continue d'envahir le théâtre, et toutes les excuses sont bonnes pour faire quelques petits pas sur scène, lever les bras et tourner jusqu'à nous donner le tournis. Lorsque la chorégraphie est justifiée, tout va bien, mais quand la danse est intégrée pour combler les vides de l'adaptation ou de la mise en scène, comme dans Allet El Ghela et Les Vigiles, cela n'est plus toléré. E comme écarté : Les grands écartés et/ou punis de ce festival, c'est le Théâtre régional d'Oran qui a adapté l'Attentat de Yasmina Khadra, ainsi que le Théâtre régional de Constantine avec la pièce La Colère des amants. Pour la première, l'adaptation était très intéressante, mais c'est dans la mise en scène d'Ahmed Khoudi que les problèmes se sont révélés. G comme genre : En plus du théâtre engagé, notamment avec Massra ou encore Mezghena 95, nous avons constaté le retour du véritable théâtre populaire avec Qadi Eddil, qui passe en revue, avec humour et dérision, toute l'histoire de l'Algérie de ces 20 dernières années. Mais l'invité-surprise est sans doute le théâtre de l'Absurde, avec la très courageuse pièce Noun. I comme indépendant : Belle surprise pour le théâtre indépendant en Algérie, puisque la pièce Allet El Ghela, de la compagnie Iqbal d'Annaba, qui a reçu un prix, ouvre une brèche à toutes les compagnies indépendantes. C'est également le cas pour la coopérative El Afsa, dont deux comédiens ont reçu des prix d'interprétation. M comme mise en scène : Le metteur en scène a été le grand absent de ce festival. En effet, le scénographe l'a effacé avec classe. Toutefois, même lorsque ce dernier laisse au metteur en scène une marge de manœuvre, celui-ci ne saisit pas l'opportunité. N comme “Nada Al Matar” : Pour la soirée de clôture, le metteur en scène irakien, Talat Smaoui, a présenté son dernier spectacle intitulé Nada El Matar. D'après un montage de plusieurs textes d'auteurs arabes, entre autres Ahlem Mestghanemi, les 7 comédiens et la dizaine de danseurs ont rendu un hommage très poignant à la Palestine avec, à la fin, une projection émouvante de photos, accompagnée par des danses chorégraphiques effectuées avec brio. O comme off : Comme chaque année, le programme off (hors compétition) est souvent plus intéressant et palpitant que le in. Différentes troupes de plusieurs pays arabes ont investi la salle El Mouggar pour des spectacles parfois drôles, tantôt ennuyeux et, souvent, touchants. Q comme Qods : Une édition dédiée à El Qods, et qui s'inscrit dans le cadre des activités de la manifestation El Qods capitale éternelle de la culture arabe. D'ailleurs, le colloque organisé en marge du festival a traité de la présence de la cause palestinienne dans le théâtre arabe. Mais le constat est que le manque est grand dans ce domaine-là, et les peuples arabes ne peuvent prendre en charge une cause aussi noble, tant qu'ils ne se sont pas encore affranchis de toutes les barrières. R comme Revue : La revue intitulée Festival et éditée quotidiennement résume la journée précédente. Aucune critique, aucun commentaire, sauf une présentation stérile des pièces et des interviews sans grand intérêt avec des sommités du théâtre. Mais comme l'a dit l'une des journalistes qui travaillent dans la revue lors de la conférence de presse qui a annoncé le festival : “Nous n'avons pas les outils en tant que journalistes pour faire la critique d'un spectacle.” À ce rythme-là, on n'aura jamais les outils. Z comme “zerda” : C'est donc dans le cadre d'une “zerda” grandiose qu'aura été ce festival, que la “zerda”, les Vigiles, a été primée. Une adaptation qui s'apparenterait à tout sauf au théâtre, d'un roman pourtant si exceptionnel, écrit par un écrivain talentueux et visionnaire. Par ce sacre, la mémoire de Tahar Djaout est souillée parce qu'un homme de sa dimension, de son envergure, et par le symbole de résistance et d'opposition à toute forme d'aliénation, n'a pas besoin d'un hommage saugrenu, qui ne respecte pas les rudiments de l'art. Sa mémoire doit être démystifiée et chacun doit le connaître pour ce qu'il a vraiment été à travers sa littérature en l'occurrence, et non par une pièce qui entre dans le cadre de la volonté politique de récupérer les symboles de l'opposition et du militantisme. Et la boucle fut bouclée ! Palmarès… - Meilleur espoir féminin : Warda Saïm (Likaâ Maâ…, coopérative El Afsa) - Meilleur espoir masculin : Amine Missoum (Likaâ Maâ…, coopérative El Afsa) - Meilleur second rôle féminin : Mounira Rabhi (Massra, TNA) - Meilleur second rôle masculin : Djamel Tiar (Qadi Eddil, TR Batna) - Meilleure interprétation féminine : Dalila Nouar (Noun, TRSBA) - Meilleure interprétation masculine : Abdelhalim Zribie (Massra, TNA) - Meilleure musique : Salim Souhali (Qadi Eddil, TR Batna) - Meilleure scénographie : Yahia Ben Ammar (Mezghena 95, TR Annaba) - Meilleur texte : Larbi Boulbina (Allet El Ghela, compagnie Iqbal d'Annaba) - Meilleure mise en scène : Azzedine Abbar (Noun, TRSBA) Prix du jury : Fadel Abbas Al Yahia (Massra, TNA) Le Grand Prix du festival : Les Vigiles du Théâtre régional de Béjaïa