Les élections européennes n'ont jamais vraiment mobilisé l'électorat, le rôle du Parlement n'étant pas palpable pour la moyenne des gens et alors que d'aucuns décrètent même son inutilité. À l'occasion des élections qui ont débuté la semaine écoulée pour se terminer dimanche soir, une abstention record a été enregistrée dans la quasi-totalité des vingt-sept pays membres de l'Union. Au total, six électeurs européens sur dix ont boudé le scrutin, même si les prérogatives du Parlement sont appelées à s'élargir avec la prochaine mise en œuvre du traité de Lisbonne. L'abstention, qui gagne davantage du terrain à chaque rendez-vous électoral européen, inquiète les politiques. Pour justifier cette désaffection qui n'est pas sans conséquences, ils sont parfois tentés d'accuser les médias qui, selon eux, ne traitent pas assez de l'Europe et n'expliquent pas le rôle du Parlement européen. Même s'il y a du vrai dans l'affirmation, l'explication reste courte. En réalité, les premiers responsables sont les politiques eux-mêmes. En utilisant très souvent l'Europe à des fins de politique intérieure, ils la mettent en opposition avec les Etats, au lieu de la présenter comme leur complément indispensable. Ils la discréditent, de fait, aux yeux d'une partie des électorats nationaux. Ainsi, quand une situation se présente bien, les gouvernements concernés la mettent sur le compte de leurs propres mérites. Lorsqu'une situation se dégrade, ces mêmes gouvernements invoquent les contraintes imposées par l'Union. L'une des conséquences de l'abstention massive au scrutin européen clôturé dimanche est la poussée des extrêmes droites nationalistes, des mouvements eurosceptiques et de listes marginales, comme la liste des Pirates, qui revendique le libre partage des documents sur Internet. L'extrême droite européenne sera nettement mieux représentée dans le prochain Parlement que dans le précédent. Ne s'étant pas jusqu'ici organisés en groupe parlementaire, les députés de l'extrême droite s'étant inscrits au Parlement sous le label d'indépendants, ils pourraient le faire désormais, ce qui augmenterait considérablement leur rôle et leur influence. Les listes eurosceptiques ont aussi marqué des points. En République tchèque, notamment, les eurosceptiques ont largement remporté l'élection et seront massivement présents à Strasbourg. Autre remarque qui a toute son importance : les partis socialistes et sociodémocrates, principaux tenants d'une Europe sociale, ont marqué un recul considérable au profit des formations de droite et du centre-droit, adeptes de l'Europe libérale. Les résultats de cette élection, même s'ils ne menacent pas les équilibres régissant jusqu'ici le Parlement européen, n'en constituent pas moins un message des électeurs en direction des dirigeants. Le fait est que l'idée même de l'Europe en tant qu'ensemble intégré n'est pas partout comprise et acceptée. En tout cas, pas dans sa forme actuelle, qui donne l'impression d'une entité qui se cherche en tâtonnant. C'est en France que l'impact de ce scrutin sur le paysage politique a été le plus ressenti. Le parti du président Sarkozy peut fêter une franche victoire, alors que depuis 1979, jamais un parti au pouvoir n'a gagné cette élection. Le parti socialiste, en perdant plus de dix points par rapport à 2004, est le grand perdant et il aura sans doute du mal à s'en remettre, tant les divisions internes mises au jour dans la dernière période pré-présidentielle sont grandes, aggravées par des visions antagoniques de l'Europe. La liste Europe écologie menée par Daniel Cohn Bendit fait un score historique, talonne de très près le Parti socialiste et s'installe comme troisième force politique dans l'Hexagone, au détriment du Modem de François Bayrou qui avait fait de cette place son objectif. En définitive, l'abstention massive et les résultats surprenants, comme ceux enregistrés en France, indiquent que l'électorat européen manque de repères sur les questions relatives à l'Union, et les dirigeants sont encore incapables de développer une vision claire et unitaire de l'Europe. Cette situation n'est pas étrangère à l'échec de l'Union pour la Méditerranée. L'adhésion de l'Union européenne en tant que telle au projet, plutôt que de le renforcer, l'a irrémédiablement plombé en y transposant ses propres pesanteurs et ses contradictions. À méditer par les pays riverains de la grande bleue…