Le ministre de l'Education nationale a déclaré, avant-hier, que la réforme “ne pourra être objectivement évaluée que dans quatre ou cinq ans”. Avant tout, commençons par rassurer Benbouzid : cette évaluation n'aura jamais lieu. Ce n'est pas dans un pays où le Président peut se faire élire à 90% pour son troisième mandat qu'on peut revendiquer l'évaluation de l'action des ministres. Dans notre système, l'auto-évaluation, qu'elle se fasse par la voie des “élus” que le pouvoir se donne ou directement par les concernés, suffit à se donner le quitus de bonne gestion. Périodiquement, nous sommes appelés à approuver, par vote, cette auto-évaluation ou cette évaluation mutuelle que le régime se fait en famille. D'ailleurs, le ministre de l'Education a trouvé un moyen simple de s'auto-apprécier : il partage le taux de réussite de ses élèves. Pour cette année, il a déjà proclamé que les résultats de l'examen de fin de cycle primaire sont “extraordinaires” et souhaité “un taux de réussite exceptionnel à tous les paliers”. En s'en tenant aux seuls taux de réussite des élèves aux examens et concours, Benbouzid en fait la mesure exclusive de la qualité de l'enseignement et le critère d'évaluation de son action. Pas besoin de s'enquérir de la pertinence du contenu des enseignements et des diplômes qui le sanctionnent ! Si cela ne devait être su que dans cinq ans, quel sens donner alors au taux de réussite d'aujourd'hui ? Au demeurant, pour pouvoir évaluer une réforme, aujourd'hui ou dans cinq ans, il aurait fallu connaître la teneur de cette réforme. Or, le seul document formellement élaboré à ce sujet, il y a dix ans, a connu le destin que connaît tout produit de réflexion dans notre pays : un occulte tiroir. Aurait-elle été mise en œuvre qu'il serait d'ailleurs inutile d'en évaluer le résultat ; une réforme qui met plus de dix ans à s'appliquer est déjà condamnée pour obsolescence. En matière de connaissances et de pédagogie, les choses vont vite. C'est la révolution permanente. D'ailleurs, tous ceux qui le peuvent, mettent leurs enfants dans des institutions scolaires étrangères, ou off shore, ou, pour les moins puissants, privées. Il suffit d'observer, dans une capitale maniaco-sécuritaire et si répressive à l'encontre des automobilistes, la tolérance policière pour le stationnement devant le lycée international de Ben Aknoun ou devant l'ex-lycée Descartes, à deux cents mètres de la Présidence, pour comprendre qui évite l'école réformée à ses enfants ! À moins de considérer les petites expériences annuellement improvisées et annuellement reconsidérées comme une réforme, il n'y a pas de réforme à évaluer. Benbouzid, qui est peut-être le ministre le plus durable des gouvernements contemporains, sait certainement qu'un responsable ne peut apporter du nouveau pendant quinze ou seize ans à une institution. Il serait malvenu de l'évaluer dans cinq ans, soit après plus de vingt ans de règne. Le temps parle pour lui. Ce n'est ni la réforme, ni l'école, ni son ministre qui sont à évaluer. C'est l'étrange acharnement politique pour l'anti-progrès qu'interrogeront un jour, pas nous, mais les anthropologues de la politique. M. H.