C'est dans une atmosphère d'extrême émotion que le défunt a été mis en terre, en présence de nombreuses personnalités de son parti. Village Aït Ahmed. Commune de Maâtkas (20 kilomètres de Tizi Ouzou). Une nuée de voitures attire d'emblée notre attention. Aux alentours de la mosquée du village, une foule immense est rassemblée dans une ambiance lourde. Une escouade d'éléments de la Protection civile, en tenue de cérémonie, portant des gants blancs, émerge de la foule amassée aux abords de la mosquée. Des hommes ne cessent de défiler tout autour. Nous nous approchons pour voir cela de plus près. À notre surprise, nous découvrons la dépouille mortelle de feu Rabah Radja, drapée de l'emblème national, exposée ainsi sur la place publique, pour permettre à tous ceux qui l'ont connu et aimé de lui dire un dernier mot. Et Dieu sait que ce ne sont pas les mots qui manquent à l'endroit d'un homme si adulé, si admiré, si respecté. Un homme d'honneur. On a affrété des bus entiers pour assister à l'enterrement. Rappelons que feu Rabah Radja est tombé dans un faux barrage vendredi soir, alors qu'il empruntait la route de Boghni, à bord de sa 406. Le député du FLN a été tué de trois balles, à bout portant, dans la tête. De sang-froid. Comme seuls les lâches savent le faire. Rabah Radja est mort à l'âge de 56 ans, laissant huit enfants. Un défilé incessant donc de personnalités politiques, de “collègues” à l'Assemblée nationale, à leur tête le président de l'APN, M. Karim Younès, le wali de Tizi Ouzou, des ministres, anciens ou en poste, sans compter le SG du parti bien sûr, M. Ali Benflis, sans parler des gens du village, des proches et des enfants du défunt. Tous, pêle-mêle, vont ainsi faire l'impérieux chemin de ronde autour de la dépouille. 14h20. On décide de lever le corps. La dépouille est hissée sur une civière, et portée d'un geste solennel et d'un pas martial par les éléments de la Protection civile, avant que des citoyens de tout acabit ne se bousculent pour avoir l'honneur de mettre la main à la civière pour quelques mètres. Et une somptueuse procession de commencer. Les vieux du arch des Aït Ahmed, joints par ceux des villages voisins, vont ainsi scander “la Illah illa Allah, Mohamed rassoul Allah !” et traverser tout le village, sur ces airs graves qui nous plongent dans une atmosphère toute de tristesse et de recueillement. Au bout d'une vingtaine de minutes, et après avoir pénétré dans les boyaux du village, au milieu d'une procession de plus en plus longue, de plus en plus dense, et autant de femmes et d'hommes sur les côtés, ou aux fenêtres, nous faisons halte à hauteur du petit cimetière où le défunt va se reposer dans sa dernière demeure ; sans doute un cimetière familial. Tout le monde se bouscule dans le sillage du cortège funèbre, s'engouffrant avec énergie dans le petit carré aux morts. Ali Benflis est déjà sur place, ainsi que certains officiels. “Que les enfants du regretté s'approchent !”, entonne une voix. Kamel, 27-28 ans, tout en larmes, est au premier rang. C'est l'un des fils du défunt, sans doute l'aîné. Le drapeau est retiré délicatement de la dépouille mortelle, il est plié et remis à Ali Benflis, qui, à son tour, est invité à l'offrir à Kamel comme le veut l'usage en pareille circonstance. Ali Benflis embrasse affectueusement le fils de Rabah Radja en l'exhortant à faire montre de courage. Kamel finit par exploser en sanglots à l'instant fatidique où l'on rabat la terre sur la dalle qui s'est déjà refermée sur le visage de son père. Ali Benflis, triste et sobre Des caméras filment de près l'enterrement, dont même une chaîne étrangère (précisément arabe). L'événement est de taille. Qu'un député soit assassiné, et en Kabylie, qui plus est un député FLN, un parti qui a été endeuillé tout récemment avec la perte de son député de l'émigration, Kamel Benbara, bref, autant d'éléments qui ajoutent à la gravité du moment. Aussi, tous les yeux sont rivés sur Ali Benflis, le chef d'une formation désormais au centre de grands tourments. Mais l'ex-chef de gouvernement est imperturbable. Des tolbas psalmodient le Coran comme le veut la tradition, puis c'est le moment de l'oraison funèbre. À la surprise générale, c'est l'imam qui la prononce. Ali Benflis boit avec obséquiosité les propos bienveillants de l'imam. Le SG du FLN est absorbé par un recueillement tout religieux, et l'on comprend vite que le moment n'est guère au commentaire politique. De fait, à peine l'oraison terminée, le voici encadré avec énergie par ses gardes du corps et autres services de sécurité dépêchés en force, et accompagné ainsi à sa voiture. Derrière, des jeunes pleurent encore. L'émotion est au plus fort Tout un village se sent orphelin. Et sur toutes les bouches, les mêmes mots : “Nous avons perdu un père, un frère, un protecteur !”. M. B.