Trop d'incertitudes et de flou ont été constatés à propos de tout ce qui a été écrit autour de l'affaire BNA-Achour qui défraie la chronique depuis plusieurs mois. Pour cela, il est utile d'éclairer au mieux les lecteurs avec le maximum de détails de ce scandale et cela en attendant que tout soit révélé par le procès en cours et qui est déjà à son quatrième jour. Ainsi nous avons pu nous procurer deux très importants documents grâce auxquels les moindres méandres de ce scandale peuvent être cernés. Il s'agit du rapport, établi en novembre 2005 (soit un mois après la réception de la lettre anonyme ayant déclenché l'affaire), sur les opérations frauduleuses effectuées par les agences de Bouzaréah, de Cherchell et de Koléa, ainsi que du rapport d'expertise établi le 1er octobre 2006. Ce dernier document (28 pages) a été élaboré par B. N., expert judiciaire en finances et comptabilité, et T. R., expert judiciaire en comptabilité. Ce duo a été désigné par le juge d'instruction de la 3e chambre du tribunal de Sidi M'hamed. Selon ce rapport d'expertise, le préjudice subi par la BNA est de près de 22 milliards de DA (exactement 21 862 310 549,78 DA). Ce chiffre est toutefois “incomplet” et les rédacteurs du rapport eux-mêmes l'avouent même si c'est indirectement. En page 5, d'autres détails “croustillants” ont été retrouvés sur ces documents établis suite aux enquêtes menées. Les rédacteurs du rapport admettent (en page 5) qu'“il est difficile de suivre tous les mouvements” des opérations de remises de chèques, de traites et d'espèces. Sur la même page, ils précisent : “Nous ne sommes pas arrivés à compulser les comptes de certaines sociétés de ce groupe au niveau de la BNA-Agence Bouzaréah, Koléa, Cherchell et Aïn Benian.” Ainsi, il est évident que les sommes détournées dépassent le chiffre donné plus haut. Les estimations faites par les avocats varient de 32 à 40 milliards de DA. Peut-être que d'ici la fin du procès (probablement la fin de cette semaine) il y aura plus de précisions sur ce sujet. Vingt accusés et trois “catégories” de chefs d'inculpation L'affaire pénale déclenchée par la BNA a été actionnée contre 20 accusés. Les chefs d'inculpation touchant Rabah Aïnouche et Abderrahmane Achour sont “escroquerie, fraude et émission de chèques sans provision, et complicité dans le détournement de deniers publics et falsification d'écritures bancaires”. Settouf Djamel, Settouf Baghdad, Benziada Azedine, Laksir Rédha, Mouaïci Mustapha et Merarbi Hassiba sont accusés de “complicité dans le détournement de deniers publics et falsification d'écritures bancaires”. De leur côté, Timadjer Omar (directeur de l'agence de Bouzaréah, en fuite), Mezeghrani Akila (adjointe au directeur de l'agence de Bouzaréah), Medjadji Omar (chef du service portefeuille à l'agence de Bouzaréah), Ammari Mohamed (directeur de la direction régionale de Zighoud-Youcef dont dépend l'agence de Bouzaréah), Benmiloud Mustapha (directeur de l'agence de Cherchell, de 1999 au 17 juillet 2005), Kherroubi Lakoues Mohamed (directeur par intérim de l'agence de Cherchell, du 17 juillet au 27 octobre 2005), Bensamia Ali (directeur de l'agence de Koléa, du 16 février 2003 au 27 octobre 2005), Bougharnout Ali (chef de service transferts à l'agence de Koléa) et Dahmani Ahmed (directeur de la direction régionale de Koléa dont dépend l'agence de Aïn Benian) sont tous inculpés de “détournement de deniers publics et falsification d'écritures bancaires”. Enfin, Chikhi Mourad (l'ex-PDG de la BNA), Nedir Mourad et Louam Tahar sont poursuivis pour “négligence apparente dans la perte de deniers publics”. Le rapport entre les agences et le groupe de A. Achour Dans le rapport d'expertise, il est indiqué qu'il s'agit “d'une affaire d'opérations bancaires effectuées par un ensemble de clients relevant du même groupe” au sein des agences de Bouzaréah, de Cherchell, de Koléa et de Aïn Benian de la BNA. Le groupe en question appartient à Abderrahmane Achour et il est composé de plusieurs sociétés. Tous les détournements se sont effectués autour d'un pivot central, qui n'était autre que la Sarl National A +. Cette dernière a été créée le 6 mars 2000 par les deux accusés : Abderrahmane Achour et Settouf Djamel. Chacun avait 50% de parts de la Sarl. Son capital sera augmenté (de 600 000 DA à 2 000 000 DA) le 5 octobre 2005 coïncidant avec le changement de gérant (Rabah Aïnouche remplaçant A. Achour). Toujours selon l'expertise, il est précisé qu'entre 2000 et 2005, à lui seul, le compte de National A+ a enregistré 16 758 opérations (débit/crédit) pour atteindre la somme astronomique de 82,9 milliards de DA en mouvements et présenter un solde créditeur de 1 789 345,47 DA au 20 octobre 2005. Achour et ses associés disposaient de plusieurs comptes ouverts (plus d'une vingtaine) auprès de quatre agences de la BNA. Dans l'agence de Cherchell 427 : neuf comptes satellites étaient domiciliés : six Eurl (Natasine TP, Bitumat, Mamouna TP, Embalia et Briqueterie algérienne), trois Sarl (Rodiprom, El Khotaf, Transport bleu) et un compte courant particulier (n°300.102.357). De son côté, l'agence de Koléa 441 comptait trois comptes courants en relation avec le groupe de Achour : celui d'une Sarl (Rodiprom) et deux particuliers (n° 300.102.458 et n° 300.300.771) appartenant à des associés de l'accusé principal. Par contre, dans l'agence de Bouzaréah 627, deux comptes courants, en plus de celui de National A+, étaient domiciliés. Il s'agit de ceux des Sarl Pecman et Nakhla. Il y a également l'agence de Aïn Benian qui n'a pas été souvent citée lors du procès. Pourtant, le groupe Achour y avait au moins cinq comptes représentant des Sarl et des Eurl. Parmi toutes ses sociétés, il y avait certaines qui étaient titulaires de comptes dans différentes agences de la BNA. Les enquêtes ont donné des résultats plus que surprenants sur les activités de ses sociétés. En page 5 du rapport d'expertise il est précisé qu' “à l'exception de la société National+ activant dans le domaine des travaux publics, les autres sociétés sont fictives (…) et n'ont aucune activité principale à citer”. Un stratagème loin d'être ingénieux En découvrant la méthode appliquée pour le détournement de tout cet argent, nous ne pouvons qu'être effaré devant la facilité et surtout le laisser-aller grave dans lesquels nageait (espérons que ce n'est plus le cas actuellement) la Banque nationale d'Algérie. La simplicité déconcertante des détournements effectués dans ces agences a montré qu'il n'est question ni de montages financiers complexes ni encore de plan à la Madoff. Les clients de ses sociétés, impliqués dans ces opérations frauduleuses, comme précisé dans les documents en notre possession, n'ont à aucun moment alimenté les comptes bancaires domiciliés à la BNA. Tout simplement, ces comptes étaient régulièrement alimentés par… les fonds propres de la banque publique. La méthode appliquée pour les détournements est toute “anodine”. Les chèques sont remis pour paiement au niveau des agences. L'astuce consiste dans le fait que le tireur et le bénéficiaire sont la même personne puisque c'est à chaque fois une des sociétés fictives de Achour et ses associés. Le choix de domicilier le groupe dans plusieurs agences avec un grand nombre de comptes était loin d'être farfelu. L'utilisation du compte recouvreur de l'agence, pour que les opérations soient dissimulées dans les liaisons-sièges (pièces accompagnants les chèques transférés entre les agences bancaires), avait permis ces énormes détournements. Cette triste réalité que nous révèlent ces rapports démontre l'insoutenable légèreté avec laquelle l'argent public est géré. C'est également une illustration parfaite de l'état des lieux de nos banques publiques qui ont plus que besoin d'un “remodelage” de fond en comble.