Naguère, les artistes algériens se construisaient chacun un nom d'emprunt à partir du nom du lieu de leur naissance. C'était une pratique courante, presque généralisée. Loin du sens de l'enfermement et d'isolement de soi sur soi dans un périmètre régional donné, nos artistes rendaient plutôt un hommage appuyé au lieu de leur nativité. On peut citer quelques exemples de noms “anagrammés” comme Chikh El-Hesnawi d'Ihesnaouen, Sadek et Youcef Abdjaoui en Kabylie, Rachid Ksentini, né pourtant à Bouzaréah, portera l'anagramme en hommage à Constantine dont le père est originaire, Ali El Khenchli de Khenchela, Fadila Djiria d'Alger, Dahmane El-Harrachi d'El-Harrach, Chikh Ldjilali Aïn Tedles de Aïn Tedles passé maître du lgallal, Reinette El-Wahrania d'Oran, Chikh Mohemmed El-Mamachi de Mamachi à Mostaganem, Chikh Tayeb El-Boussaâdi de Boussaâda, Hadda Beggar des Beni Beggar à Souk Ahras et bien d'autres encore. De la sorte, les lieux qui les ont vu naître et propulsés, pour plusieurs et diverses raisons, sur la scène artistique sont célébrés sous la forme d'anagrammes. Ici, la transposition a valeur symbolique d'égard, de respect, de reconnaissance et de vénération des lieux d'autant plus que chaque région du pays détient sa propre marque culturelle, poétique, musicale et artistique. Chaque coin de la terre algérienne est détenteur et même dépositaire d'une personnalité et d'une originalité. Au pays du palmier qui défie tous les soleils ardents durant des années, l'inspiration recherchée ou innée n'est absolument pas la même que celle qui jaillie sous un olivier robuste et centenaire qui affronte les rudes hivers des montagnes. Il y a aussi l'inspiration distinguée et propre à la côte maritime sous l'action du chant des vagues. Ainsi, l'influence des milieux impose des productions culturelles et artistiques plurielles, diversifiées et différentes dans l'expression de leur sensibilité et de leur volupté. Chaque ville ou région d'Algérie dispose naturellement de ses propres particularités qui forgent la personnalité accrue du pays. C'est cette mosaïque des genres et des caractères multiples qui a formé le patrimoine culturel et identitaire algérien dans son ensemble. Hélas cette mosaïque se déteint, s'altère, s'écaille, se craquelle et perd la vivacité de ses couleurs culturelles à mesure qu'avance le rouleau compresseur de l'uniformisme, ce mythe dont se servent les politiques culturelles hégémoniques pour asseoir leur fragile suprématie pourtant provisoire. Mais d'un autre côté, l'abus du temps reste cruel et meurtrier. A. A. ([email protected])