À entendre l'ancien détenu, les responsables de la prison américaine refusaient délibérément de donner des soins à certains prisonniers malades dans le but de leur soustraire des informations. Visiblement marqué par son expérience carcérale, Samy El-Hadj, ancien détenu soudanais de Guantanamo, raconte avec un ton mesuré et plein de dignité l'enfer vécu au quotidien dans la célèbre prison américaine avec 800 autres prisonniers. En visite en Algérie depuis dimanche à l'invitation du journal arabophone Echourouk, Samy El-Hadj, journaliste et cameraman à Al-Jazeera, a animé, hier en compagnie de Farouk Ksentini (président du CNCPPDH) et Fawzi Oussedik, son conseiller juridique, une conférence de presse à la Maison de la presse de Kouba à Alger. “Nous étions soumis à toutes sortes de torture : tabassage, humiliation, harcèlement sexuel, utilisation de chiens, etc. Certains d'entre nous sont privés du sommeil pendant plus de 6 jours.” “On a été privés de tous nos droits. On a été traités pire que les animaux”, dénonce Samy El-Hadj. Et de poursuivre : “On ne nous donnait pas beaucoup de nourriture qui est, de surcroît, de très mauvaise qualité. À Kandahar, on a été laissés pendant plus de six mois sans prendre de douche.” Même les visites des proches sont formellement interdites aux prisonniers. Pis, l'essentiel du contenu des lettres envoyées par les détenus à leurs parents est effacé. Et à Samy El-Hadj d'exhiber la lettre qu'il a envoyée à son fils toute raturée ainsi que les photos de ses fils, dont on avait du mal à distinguer les traits. À entendre l'ancien détenu, les responsables de la prison américaine refusaient délibérément de donner des soins à certains prisonniers malades dans le but de leur soustraire des informations. “On interrogeait les prisonniers sur les plus infimes détails se rapportant à leur pays d'origine et à leurs services de renseignement”, précise-t-il. Selon lui, 95% des détenus du Guantanamo étaient arrêtés loin des zones de conflit en citant le cas des Bosniaques. Il y avait même parmi les prisonniers un vieil Afghan de 90 ans et même un nourrisson. L'explication ? “Notre dénominateur commun, c'est que nous sommes tous des musulmans”, souligne-t-il. Selon lui, le plus dur à supporter, ce ne sont pas les supplices physiques, mais plutôt la torture morale. Son sentiment après un passage si douloureux dans la prison de Guantanamo ? “Les slogans claironnés par les Américains et autres pays occidentaux sont faux. Au vrai, il n'y a chez eux ni droit de l'Homme ni liberté d'expression. Les Américains pratiquent le deux poids deux mesures”, accuse-t-il, avant de souligner sentencieusement : “Le Guantanamo a été une école pour nous.” Mais Samy El-Hadj refuse de s'enfermer dans le passé et veut plutôt parler de l'avenir. Son inquiétude de voir ses 230 amis encore en détention à Guantanamo transférés dans une autre prison américaine est très vive. Il déplore le fait que l'actuel président américain est revenu sur certaines promesses faites au lendemain de son élection à la tête des Etats-Unis. Il a dit avoir un projet de constitution d'une fondation qui verra le jour le mois prochain. Trois buts sont fixés à cette fondation : obtenir la libération des détenus de Guantanamo, l'insertion sociale des détenus libérés, ainsi que leur prise en charge médicale et économique, et le lancement des poursuites judiciaires à l'encontre des responsables de l'ancienne administration des Etats-Unis ainsi que tous ceux qui l'ont aidée. Dans son intervention, Farouk Ksentini n'a pas mâché ses mots en allant jusqu'à qualifier ce qui s'est passé à Guantanamo de “négation du droit à l'état pur”. “On a détruit l'Irak au nom de la démocratie et des libertés. Mais ce qui s'est passé à Guantanamo est une véritable opération terroriste qui n'a aucune relation avec la démocratie et les droits de l'Homme. Ils ont voulu combattre le terrorisme avec du terrorisme. C'est un scandale pour l'histoire des Etats-Unis et de l'Occident en général, car ce qui s'est passé à Guantanamo ne s'est jamais produit ailleurs, sauf du temps du nazisme”, dénonce-t-il. Pour lui, la position des autorités algériennes était claire dès le début. “Concernant les détenus algériens de Guantanamo, l'Algérie avait fait part aux Américains de sa disponibilité à les recevoir. Malheureusement, cela n'a pas donné de résultats, car ce n'était pas facile de dialoguer avec l'ancienne administration américaine sur ce sujet”, explique-t-il. Pour rappel, 14 des 25 prisonniers algériens incarcérés dans cette prison ont été libérés. S'il dit avoir beaucoup de respect pour le président Obama, Me Ksentini doute toutefois que la fermeture de la prison de Guantanamo puisse être effective d'ici fin 2009. Pour sa part, Fawzi Oussedik, professeur de droit et conseiller juridique de Samy El-Hadj, a assuré que “les détenus ont été victimes d'arrestations arbitraires qui sont en contradiction avec les principes mêmes de la Constitution américaine. Ils ont été privés de leurs droits les plus élémentaires”. À ses yeux, il n'y a pas l'ombre d'un doute : l'affaire de Guantanamo est politique et rien d'autre. Arab CHIH