Ex-détenu à la prison américaine de Guantanamo, le Soudanais Samy El Hadj, journaliste et cameraman, s'occupe actuellement du Centre des libertés et des droits humains d'Al Jazeera (Public liberties and human rights). Vous êtes directeur du Centre des libertés et des droits humains d'Al Jazeera. Quelles sont les missions de ce centre ? Notre mission est de collecter des informations liées aux droits de l'homme et de les distribuer aux différents services du réseau d'Al Jazeera. Des informations qui seront reprises par la chaîne avec sons et images ou mises sur le site internet. Il y a une rubrique dédiée aux droits et libertés sur AlJazeera.net. Nous avons également la possibilité de proposer des thèmes et des invités aux différentes émissions de la chaîne (Al Itijah Al Mouakis, Tahta Al Mijhar, etc.). Nous allons bientôt avoir une émission spéciale pour les droits de l'homme. Nous couvrons la plupart des activités liées aux droits humains (conférences, séminaires, ateliers, etc.) ; les enregistrements sont diffusés sur Al Jazeera Moubacher. Nous produisons des documentaires pour Al Jazeera Wathiquia et nous élaborons des spots pour vulgariser la culture des droits de l'homme. Le centre organise des sessions de formation pour les journalistes et les administratifs sur les droits de l'homme. Après le mandat d'arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar El Béchir, nous avons organisé dix workshops pour expliquer et discuter de cette question. Notre but est d'élargir le débat sur les droits humains dans le monde arabe et partout ailleurs. Nous croyons que l'homme ne peut défendre ses droits que s'il les connaît. Nous essayons donc de faire connaître au public ses droits. Nous faisons cette vulgarisation même sur Al Jazeera Children. Nous avons établi des partenariats avec les ONG qui activent dans le domaine des droits de l'homme. Les médias ne suffisent pas. Pour être efficace, le travail de la presse doit se faire avec la société civile. Nous avons, par exemple, un partenariat avec le Comité des droits de l'homme de l'ONU. Nous avons ouvert une grande fenêtre pour la collaboration avec toute la famille des journalistes, où qu'ils se trouvent. Le centre entend recruter des correspondants partout, en plus de ceux d'Al Jazeera. Souvent, les atteintes aux droits de l'homme se font dans les zones reculées, loin des capitales. Nous avons des consultants en droit comme Fawzi Oussedik et Boutahar Boudjelal, qui travaillent avec nous depuis le début. Nous organisons des conférences et des débats. Nous voulons que l'idée du centre se développe davantage. Nous souhaitons lancer, l'année prochaine, une chaîne spécialisée en droits de l'homme pour que nous puissions continuer à véhiculer le message de la presse libre. Votre visite en Algérie s'inscrit-elle dans le cadre de la présentation de ce centre ? Nous sommes à Alger à l'invitation du journal Echourouk Al Yaoumi pour participer aux festivités de la fête de l'indépendance de l'Algérie. Nous voulons remercier nos confrères algériens qui ont participé à la campagne du million de signatures pour l'affaire de Guantanamo. Nous voulons les sensibiliser pour qu'ils continuent aux fins de récolter les fruits de cette campagne qui a duré des années et de voir les détenus de Guantanamo libérés et mieux traités après leur élargissement. La libération ne signifie pas la fin du calvaire. La réinsertion sociale pose aussi problème. Autant que les questions de santé. La plupart des détenus souffrent de maladies chroniques en raison d'une mauvaise prise en charge à Guantanamo. Certains d'entre eux n'ont pas trouvé d'emploi. Pour aider ces ex-détenus, nous travaillons pour lancer, à Genève (Suisse), le centre Guantanamo pour la justice dans les prochaines semaines. Ce centre aura, autant que possible, des bureaux dans tous les pays d'où sont originaires les détenus de cette prison. Nous aspirons à réaliser trois objectifs principaux : aider à libérer les prisonniers de Guantanamo, libérer ceux qui ont été déjà élargis et qui ont été emprisonnés dans leur pays après leur retour et appuyer les ex-détenus à recouvrer leurs droits par le biais de la justice. Que gardez-vous de votre emprisonnement à Guantanamo ? Je ne peux pas oublier Guantanamo. J'y ai vécu des années, pas des heures. L'affaire restera intacte. Nous préférons en garder les aspects positifs plutôt que les côtés négatifs. C'est une expérience qui a nous fait découvrir le magnifique élan de solidarité de nos confrères journalistes, de politiques, de militants des droits de l'homme et de l'ensemble de notre nation. Ils ne nous ont jamais abandonnés et nous ont fait savoir que nous n'étions pas seuls. Leur message était fort. Guantanamo nous a fait découvrir également l'importance du travail dans le domaine des droits de l'homme et dans le domaine de l'humanitaire. Idem pour l'action médiatique. Je veux contribuer au renforcement du message des médias libres. Les douleurs que j'ai ressenties à Guantanamo m'ont fait croire que l'action humanitaire et le travail pour les droits humains sont importants. Autant que l'est la complémentarité entre les médias et les ONG dans ces domaines pour arriver à une société apaisée, où il existe une justice réelle qui garantit la dignité à l'homme où qu'il se trouve. Je crois que Guantanamo fut une grande leçon. N'oubliez pas que je suis journaliste... Avez-vous un projet d'écriture de ce que vous avez vu et entendu à Guantanamo ? L'affaire de Guantanamo oblige à écrire. Cela ne doit pas être oublié. Bientôt, je vais publier un livre sur ce que j'ai vécu dans cette prison. D'autres détenus vont faire la même chose. Guantanamo a abrité 800 prisonniers venus de 50 pays. Chacun d'entre eux a vécu une partie qui n'a pas été vécue par d'autres. Chacun a une histoire à raconter. Nous incitons chaque détenu à raconter son expérience et nous œuvrons à tout collecter dans des supports écrits ou filmés. Nous espérons que l'expérience de Guantanamo ne se renouvelle jamais. Comment avait été votre relation avec les 25 détenus algériens ? C'était une relation intense et fraternelle. Les Algériens m'ont beaucoup aidé, surtout que je n'avais aucun expérience de rapports avec les Occidentaux. Les Algériens étaient notre boussole dans la prison. Ils nous guidaient et nous assistaient dans beaucoup de choses. Nos relations avec eux et avec leurs familles sont maintenues à ce jour. Nous prions Allah pour que les autres détenus soient libérés. Ne pensez-vous pas que des « petits » Guantanamo existent dans le monde arabe et qu'on en parle moins ? Je suis d'accord avec vous. Nous avons toujours dit que Guantanamo était mauvais, mais il y a pire. Nous sommes pour le respect de l'homme où il se trouve, qu'il soit coupable ou pas. On doit garantir leurs droits à tous. Tout homme a droit au respect de sa dignité. Nous veillons à ouvrir les portes pour les autres causes des droits de l'homme car notre souci est la défense des libertés. Nos frères algériens connaissent la véritable signification du combat libérateur, eux qui ont fait d'énormes sacrifices. Un million et demi de martyrs pour que l'Algérie soit libre... Que pensez-vous de la décision du président américain Barack Obama de fermer Guantanamo ? C'est une décision juste, qui remet les Etats-Unis sur les rails. Nous sommes optimistes et nous souhaitons que Guantanamo soit fermé. Barack Obama cherche à améliorer l'image des Etats-Unis. Nous avons des doutes. Il a promis de fermer les tribunaux militaires et de publier les images des actes de torture. Il n'a pas tenu ses promesses. Il a prétexté des menaces sur la sécurité intérieure des Etats-Unis. C'est la preuve qu'il y avait de la torture. Il en existe des images horribles. Cela l'a conduit à revenir sur ses promesses. Il n'a engagé aucune procédure pour poursuivre les auteurs de tortures. Ce que nous regrettons c'est qu'Obama est lui-même un homme de droit. L'Administration américaine n'a pas beaucoup changé. La politique poursuit le même itinéraire. Le Congrès, à dominance démocrate, a refusé le budget devant permettre la fermeture de Guantanamo. Nous détenons des informations, de sources officielles, selon lesquelles le gouvernement américain a construit des prisons à Bagram, en Afghanistan, et a commencé à déplacer les détenus dont le transfert vers leur pays d'origine n'a pas été possible vers cette prison. C'est comme si l'affaire revenait à la case départ. A Bagram, c'est pire qu'à Guantanamo. Dans ce dossier, l'histoire des Etats-Unis est noire. Dans leur guerre contre le terrorisme, les USA ont détenu 26 000 musulmans partout. Certains sont même sous les verrous dans des navires ou des prisons secrètes... Fayçal Métaoui, Hassan Moali