Liberté : Le cabinet Solis a réalisé dernièrement une enquête sur des Français d'origine étrangère. Qui a demandé cette étude et à quoi servira-t-elle ? Abbas Bendali : Nous avions déjà réalisé d'autres enquêtes dans un passé récent, mais nous sentions des demandes plus fortes de la part d'un certain nombre d'acteurs économiques et institutionnels, pour mieux connaître les comportements de ces populations. Un certain nombre d'entre eux nous ont encouragés, mais l'initiative revient à Solis. Les résultats de l'étude vont permettre d'abord de faire “exister” ces segments de population, sur la scène économique, puisque nous montrons qu'ils ont des besoins spécifiques et des attentes très fortes, pour ce qui concerne un certain nombre de produits et de services. Nous donnons ensuite les clés pour communiquer avec cette cible marketing : un marché de 3,3 millions de personnes d'origine maghrébine et de 1,1 million d'origine d'Afrique subsaharienne ne peut pas laisser insensibles les entreprises ! Vous avez eu à justifier le lancement de vos études par les demandes de certains acteurs du marché, chaînes de télévision, stations de radio, agences et annonceurs. Peut-on en connaître le détail ? France Télévision, à travers sa filiale FTPI, régie publicitaire en France, et un certain nombre de chaînes TV maghrébines, dont Canal Algérie, ont souscrit à cette étude. Des annonceurs se sont également portés acquéreurs de ces informations. Je ne peux, malheureusement, vous les citer nommément. M. Bendali, à combien estimez-vous les Français d'origine algérienne ? En quoi se distinguent-ils du point de vue du comportement de consommation et des besoins ? Nos estimations font état d'un effectif de près de 1,5 million de personnes d'origine algérienne, lorsqu'on cumule les primo-arrivants et leurs enfants constituant la 2e génération. Il s'agit des résidents permanents en situation régulière. Nous ne comptons pas dans ces statistiques la 3e génération, dont le poids reste marginal. La population d'origine algérienne est concentrée à près de 40% en région parisienne. Elle se partage de manière relativement équilibrée entre les hommes et les femmes. C'est une population jeune et active… 62% ont moins de 40 ans. Effectivement, c'est une population qui a des comportements spécifiques, notamment pour ce qui concerne sa consommation alimentaire, qui passe par le respect du halal pour 9 personnes sur 10. Cette spécificité se lit aussi à travers un attachement au pays d'origine, qui se matérialise par un contact téléphonique hebdomadaire pour la moitié d'entre eux et des transferts d'argent, essentiellement pour aider la famille restée en Algérie. Les origines ethniques interviennent-elles, selon vous, dans l'acte d'achat et le choix des marques des produits ? Bien sûr, les traditions familiales, culturelles ou religieuses influent sur le comportement de consommation. Canal Algérie est en tête des chaînes TV auprès de la communauté algérienne. Une marque de soda comme Sélecto est également consommée par la population d'origine algérienne… La diaspora algérienne vivant en France est restée très attachée à son pays d'origine et sait se montrer solidaire avec l'autre rive de la Méditerranée. À titre d'exemple, nous constatons dans notre étude une baisse sensible de l'audience de la chaîne Al Jazeera auprès de la communauté algérienne vivant en France. Entre juin 2007, date à laquelle nous avions également conduit une étude d'audience, et mars 2009, cette chaîne a perdu 17 points d'audience auprès de la communauté algérienne, alors que dans le même temps, son audience est restée stable auprès des communautés marocaine et tunisienne. Il faut y voir l'effet du sondage très controversé réalisé par cette chaîne, à la suite des attentats meurtriers de décembre 2007, qui s'est répercuté jusqu'à la diaspora vivant en France. Les études menées suivant des critères ethniques étaient interdites en France. Leur émergence a-t-elle un lien avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée et son adhésion aux options des Etats-Unis ? Non, nous sommes un cabinet d'étude indépendant et nous travaillons sur ce sujet depuis plusieurs années, pour le compte d'entreprises privées. Néanmoins, l'arrivée de Nicolas Sarkozy et sa volonté de mettre en avant au plus haut sommet de l'Etat des personnalités politiques issues de l'immigration ont constitué un geste très fort vers ces populations : elles sont enfin rentrées dans la “photo de famille”. La nomination récente de Yazid Sabeg au poste de haut-commissaire à la diversité et à l'égalité des chances doit permettre de poursuivre le mouvement amorcé. Ne craignez-vous pas que les populations que vous ciblez se sentent victimes d'une forme de stigmatisation allant à l'encontre du modèle d'intégration ? Non, bien au contraire, la satisfaction des attentes et des besoins élémentaires de ces populations participe à leur intégration. La jeune femme active d'origine algérienne a les mêmes contraintes et préoccupations que n'importe quelle autre jeune femme française. Elle veut par exemple des plats cuisinés halal qu'elle peut préparer rapidement, en rentrant de sa journée de travail… Je crois que le fait de ne pas trouver son produit dans les mêmes grandes surfaces fréquentées par le reste de la population peut générer de la frustration. C'est ce sentiment de frustration qui conduit au repli communautaire, à une méconnaissance de l'autre et éventuellement à sa stigmatisation. Les industriels de l'agroalimentaire et les grands réseaux de distribution ont un rôle à jouer dans ce domaine. Le cabinet Solis semble avoir trouvé son créneau sur le marché mondial, surtout sur le marché arabe et musulman. Est-il vrai qu'il veut s'investir en Algérie ? En direction de quels secteurs ? Nous sommes présents pour l'instant uniquement sur le marché français. C'est vrai que nous songeons sérieusement à implanter une filiale en Algérie, pour proposer nos services aux entreprises activant sur le sol algérien. Nous devons nous rendre à Alger au cours de ce mois et entamer des rencontres avec des acteurs de la vie économique. H. A.