“Les peuples colonisés conquièrent leur indépendance là est l'épopée, l'indépendance acquise, commence la tragédie.” Aimé Césaire Avec un rituel de métronome, le pouvoir réchauffe une symbolique à laquelle les jeunes ne donnent pas l'importance qui lui revient, n'ayant pas été suffisamment éduqué dans le culte de la Patrie. Pourquoi ne sommes-nous pas fiers de notre fête au point de la fêter dignement ? J'enrage de voir comment, à titre d'exemple, les Américains et les Français tiennent à leur symbolique au point d'en faire des icônes intouchables. Le 14 juillet est pour la France, à juste titre, un moment de communion qui conforte l'idée de Nation, “ce désir d'être ensemble” dont parle si bien Ernest Renan. Chez nous, croyant bien faire, on fait dans la diversion, dans l'éphémère. L'Algérie n'a pas cessé de prouver sa “bonne foi, en vain”. Ce fut, on s'en souvient, l'Année de l'Algérie en France, qui se termina en queue de poisson, ce fut ensuite “Alger, capitale de la culture du monde arabe” et c'est enfin le Panaf, une idée culturelle, mais mise sous perfusion sonnante et trébuchante. À quoi va servir ce festival ? Il faut rappeler le contexte de 1969. L'aura de la Révolution algérienne brillait au firmament. C'était l'époque où les révolutionnaires venaient se ressourcer à Alger pour y trouver aide et inspiration. La période bénie des années soixante. C'était l'époque de Mandela, d'Amilcar Cabral et de Che Guevara qui venaient nous parler des heures à la cité universitaire. Pour Hassane Zerrouky, le premier Festival panafricain de 1969 s'était déroulé dans un contexte radicalement différent. Les mouvements de libération africains —Angola, Mozambique, l'ANC (Afrique du Sud), Guinée-Bissau, Cap-Vert, Zimbabwe, pour ne citer que les plus importants — avaient leur siège dans la capitale algérienne. “C'était l'époque où le rêve était permis. Le socialisme, on y croyait. Avec des personnalités comme Boumediene (Algérie), Modibo Keïta (Mali), Sékou Touré (Guinée), Myriam Makeba, reine de l'Afrique qui vivait alors à Alger, on pensait que le continent africain allait se libérer du joug néocolonial et sortir du sous-développement économique et culturel.” “Aujourd'hui, ajoute-t-il, ce temps est fini.” (1) Le Festival panafricain, au-delà de l'émergence d'une culture africaine, en dehors du prisme déformant des empires coloniaux, était surtout un cri d'espoir, d'allégresse, pour des lendemains dont on nous avait promis qu'ils chanteraient. Cantonner le festival au folklore est réducteur et dénote une totale ignorance du feu sacré qui animait chaque Africain de l'époque. Le Festival de 2009 est un cadavre ressuscité qu'aucun pays africain parmi la cinquantaine n'a voulu rééditer. Mieux encore, une preuve de la marchandisation de la culture nous est donnée par un fait anodin, mais hautement significatif : à 48 heures de leur départ pour la capitale algérienne, les artistes béninois menacent de boycotter l'événement. Ils exigent que l'autorité de tutelle règle le problème lié à leurs primes. Tout est dit. Il faut se poser la question pourquoi pendant quarante ans, aucun pays africain ne s'est proposé pour prendre la relève d'Alger ! Est-ce une question de moyens ? L'Afrique du Sud a des moyens et un savoir-faire aussi importants sinon meilleurs que ceux de notre pays. Est-ce inutile ? Est-ce que c'est passé de mode et que les gouvernants qui ont pris la relève des puissances coloniales ont d'autres préoccupations que de réanimer un concept qui avait son utilité, son importance et qui cadrait tout à fait avec la position de l'Algérie d'alors : révolutionnaire, Mecque des mouvements d'indépendance et surtout représentante d'une Algérie qui avait l'éternité devant elle. Pour en revenir au “Panaf” qui s'essouffle parce qu'il n'y a plus la ferveur populaire, malgré un matraquage des médias officiels, il n'est que de constater l'indifférence des médias africains pour comprendre que la foi révolutionnaire s'est refroidie en rites consuméristes avec les Ntic pour l'illusion. Si, vraiment, on voulait repérenniser ce “machin”, comme disait de Gaulle à propos de l'ONU, il eut été intelligent de débattre de sujets tabous comme par exemple l'héritage controversé des musées coloniaux européens, des phénomènes migratoires et de la mise en place d'un tribunal d'intellectuels utilisant les mêmes armes de la pensée pour juger, au nom des droits de “tous le hommes”, le phénomène colonial. Si nous avions gardé nos sous, ces 800 millions de DA, nous aurions pu régler le problème du livre par un soutien des éditeurs et par l'achat de quotas d'ouvrages pour les 1 543 bibliothèques communales. Il faut savoir qu'avec 800 millions de DA, on peut reconstruire plusieurs fois le système éducatif qui peut être très performant si des moyens adéquats étaient mis à sa disposition. Que ferons-nous une fois que les lampions seront éteints, que la fête est finie, après avoir dépensé, il faut bien le dire, l'argent du contribuable pour une cause si loin de ses préoccupations immédiates ? Bref, on fait de la diversion en convoquant un “fourre-tout” qui permettra aux “Algérois” d'oublier, momentanément, leur mal-vivre pendant une quinzaine de jours. Le seul point réellement positif du Panaf est la venue de Lucy. Honneur à la grand-mère de l'humanité. Âgée de 3,2 millions d'années, Lucy dont les ossements ont été découverts en 1974, en Ethiopie, par une équipe composée entre autres du paléontologue Yves Coppens qui l'a appelée Lucy du nom d'une chanson des Beatles à l'époque Lucy in the Sky. En effet, pour la célèbre Austrapithecus afarensis, pendant près de 30 ans, on a pensé que Lucy était notre grand-mère. En fait, notre grand-père est l'homme du Tchad, l'homme de Tsumaï du Tchad, qui aurait sept millions d'années. Lucy n'est pas notre mère, c'est une lointaine tante, ce qui ne diminue en rien au respect que nous devons avoir pour elle. Mieux encore, une publication récente remet en cause le fait que l'Afrique soit le berceau de l'humanité : qu'on exhume, dans une forêt d'Asie, les restes fossilisés d'un mammifère et c'est toute l'histoire de nos ancêtres qu'il faut envisager de repenser. Ainsi, de ce fragment de mâchoire d'un petit primate — baptisé Ganlea megacanina —, vieux de quelque 37 millions d'années et découvert en novembre 2008 dans le centre de la Birmanie, ce nouveau fossile appuie l'hypothèse d'une origine asiatique de l'un des deux principaux rameaux de l'ordre des primates. Celui qui évoluera bien plus tard vers l'homo sapiens. Derrière ces discussions sur l'origine géographique des hommes et des singes, apparaît, en filigrane, le débat sur le rôle de l'Asie dans l'ensemble des mécanismes évolutifs qui ont mené au genre homo. “L'origine des ancêtres de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis, vieux de quelque 7 millions d'années et découvert au Tchad en 2001) est aujourd'hui inconnue, dit ainsi Jean-Jacques Jaeger. On ne lui trouve pas d'ancêtres en Afrique. Et il n'est pas exclu que ceux-ci puissent avoir été originaires d'Asie.” (2) Dans toute cette atmosphère délétère où l'Algérie donne l'impression de s'installer dans les temps morts, une bouffée d'air frais : on apprend que le 13 juillet, un accord a été signé pour la fourniture en électricité de l'Europe. Des dizaines de centrales solaires seront implantées tout autour du Sahara, qui enverraient une partie de leur électricité vers l'Europe : c'est le projet démesuré baptisé Desertec, lancé par des industriels allemands, qui se réunissent aujourd'hui. Une trentaine d'installations seraient réparties en bordure des zones désertiques, essentiellement en Afrique du Nord et au Proche-Orient. En tout, ces centrales couvriraient des milliers de kilomètres carrés. Pour 400 milliards d'euros, cette réalisation pharaonienne pourra fournir 15% de l'énergie consommée en Europe en 2025. Un petit calcul montre que partant du fait que la puissance électrique de l'Europe serait autour de 5000 twh, les 15% de l'électricité saharienne équivalent à 750 TWh, soit 25 fois la consommation actuelle de l'Algérie. Pour Malik Rebrab, président du directoire de Cevital, “il est temps que chacun s'implique dans la protection du climat, afin que les futures générations disposent des mêmes conditions de vie que nous. C'est la raison pour laquelle nous croyons que cette initiative peut donner beaucoup de nouvelles impulsions à la région EUMENA”. Voilà, de notre point de vue, une initiative qui va dans le sens d'une réelle indépendance, d'une capitalisation d'un savoir-faire et d'une contribution remarquable — si elle aboutit — vers l'avènement d'une indépendance énergétique tournant le dos à la malédiction du pétrole. Cette initiative ne saurait masquer l'état général d'anomie. Où en sommes-nous en ce 47e anniversaire ? Je dis, à l'instar du regretté cheb Hasni : “Mazal l'espoir”. Pourtant, j'ai beau prospecter des signes avant-coureurs d'une sortie du tunnel, je n'en vois pas. Mieux : l'un des derniers bastions de la cohérence est en train d'être laminé pour, nous dit-on, aller à l'excellence, avec l'aide désintéressée de l'ancienne puissance coloniale qui, faut-il le rappeler, a tout de même produit un millier de diplômés au nom de la positivité de la colonisation, dont justement 4 ingénieurs. L'Ecole polytechnique, qui a formé 10 000 ingénieurs de rang honorable dans la hiérarchie mondiale et dont une immense majorité se retrouve outre-Méditerranée, va être reformatée pour, nous dit-on, devenir excellente !!! Cela participe assurément du laminage des défenses immunitaires du pays qui s'installera définitivement dans la fatalité, devenant un pays levantin qui vit d'une rente imméritée, qui pompe d'une façon frénétique le patrimoine énergétique de générations futures et qui ne sait plus rien faire. À bien des égards, notre indépendance, dont nous étions si fiers, s'effrite inexorablement par une dépendance économique avérée et surtout par une dépendance mentale qui revient en force. En fait, nous faisons tout pour augmenter notre dépendance, sous le regard désespéré de cette jeunesse en panne d'espérance. Pis encore, il est sacrilège de parler de patriotisme, de valeurs à défendre, de réhabilitation de l'effort. La diversion va jusqu'à convoquer des Algériens expatriés que l'on présente comme les sauveurs du pays aux lieu et place des laissés-pour-compte que sont les cadres universitaires algériens. Nous continuons à persister dans l'erreur, faisant croire au peuple avec ses deniers que le miracle viendra des sauveurs estivaux. Au lieu de réhabiliter l'effort et d'aller vers un développement endogène à marche forcée, on s'en remet aux Chinois, aux Français, aux Turcs et autres Jordaniens pour nous nourrir, nous transporter, nous soigner... L'Algérie devra tourner plus que jamais le dos à la rente. C'est à une vision d'ensemble du futur que j'invite les Algériens à se réapproprier, ce faisant, leur destin. C. E. C. 1. Hassane Zerrouky, Alger, aux couleurs africaines, l'Humanité du 7 juillet 2009. 2. Stéphane Foucart : Une dent relance le débat sur les origines de l'homme, le Monde du 10 juillet 2009. Par : PROF. c. E. chitour