La wilaya de Aïn Témouchent pourrait décrocher la palme du plus mauvais entretien des plages à l'échelle nationale. Et pour cause, sur les 80 kilomètres de bande côtière dont elle dispose, la wilaya a réussi le pari d'en détériorer la majorité. Réputées d'endroit idéal pour le départ des harragas vers l'Espagne, les côtes témouchentoises avaient, pourtant, tous les atouts naturels pour devenir des pôles d'attraction par excellence du tourisme, aussi bien local qu'international. Il ne manquerait plus que l'enfant du bled, Bellemou, le père du raï moderne, ne sorte sa trompette pour pleurer sa côte, à la façon “rouhi ya Témouchent rouhi beslama” (au revoir Aïn Témouchent). L'urbanisation sauvage a fait que des plages, jadis citées en exemple, sont devenues infréquentables. Il n'y a qu'à voir Béni-Saf, cette charmante station balnéaire, étouffée par des constructions anarchiques jusqu'au bord de l'eau. En face, des constructions ressemblant aux favelas brésiliennes agressent le regard et en font fuir plus d'un. Un vieux Blidéen rencontré sur place n'en revient pas : “J'ai loué une villa, à partir de Blida, par le biais de connaissances. Arrivé sur place, je me retrouve dans cette vieille bâtisse, cernée de toutes parts par des constructions et sous un bruit assourdissant de jour comme de nuit. Vous appelez ça des vacances ? Pour dix millions les 15 jours, j'aurais pu trouver mieux ailleurs”. Il est vrai que les gens de Béni-Saf sont connus pour leur sens de l'hospitalité et leur joie de vivre, comme il est vrai qu'on y sert un délicieux poisson, à des prix très abordables. La ville, victime de sa réputation, attirait de nombreux vacanciers. Avec le peu d'infrastructures hôtelières, les gens ont commencé à construire n'importe comment, n'importe où, pour louer aux vacanciers, au point de défigurer complètement la ville et d'étouffer ses plages, désormais, cernées de toutes parts par des constructions anarchiques. Mais le pire est à venir. Terga, une crique d'une rare beauté a été littéralement massacrée par des constructions à même la plage, dans un décor de films d'horreur. La saleté des lieux finit par dissuader les plus téméraires. Au lieu de constituer un pôle d'attraction touristique, la plage, déserte il n'y a pas si longtemps, est devenue une des plaques tournantes de la harga. Les plages de Sassel, Marsat Ali Bounouar, Chatt El Hillal, Wardania, Sidi Djelloul, Bouzedjar, S'biaât, Nedjma et Mordjane restent plus ou moins préservées de l'avancée anarchique du béton et pourraient constituer, dans le futur, des destinations de premier choix. Rechgoune, l'exception On ne sait pas si c'est par miracle ou par omission que Rechgoune est restée une exception à la règle témouchentoise. Voici une baie parmi les plus belles d'Algérie, faisant face à l'île qui porte son nom et qui préserve sa réputation. Dommage qu'il n'y ait pas encore d'embarcations pour emmener les vacanciers sur l'île, actuellement un privilège réservé à certains. Des complexes touristiques sont bâtis sur les collines surplombant la baie, ajoutant du charme aux lieux. Les plages de Rechgoune (I et II), le Puits, la Marmite et de Madrid, sont bondées en cette mi-juillet, notamment d'émigrés. Il est vrai que sur cette baie, les constructions ont été maintenues à l'écart des plages, d'autant plus qu'un lac poissonneux vient s'échouer sur la plage de Rechgoune. L'endroit est très prisé par les vacanciers, d'où la pression sur les locations. Ici, il faut réserver au plus tard en mai puis venir vérifier soi-même l'endroit loué, pour éviter les arnaques. Et elles sont légion dans cette région. Les émigrés arrivés à la dernière minute sont les véritables dindons de la farce. Il est vrai que tout le monde les courtise ici pour leur soutirer le maximum d'euros, mais il y a des limites à ne pas franchir, comme proposer des maisons en pleine construction, ou trop éloignées de la plage, ou encore disposant de toilettes collectives dans un haouch. Les plus avertis font appel à leurs familles du bled pour s'occuper des réservations. Mais là-aussi, ce n'est pas toujours facile. Rachida, une émigrée de Rouen, pourtant fille de la région, avait confié à un cousin habitant Ouelhaça, une région côtière avoisinante, la tâche de lui louer un cabanon. Il réussit à lui en dénicher un pour 40 000 dinars les 15 jours. Elle paye à l'avance. Mais quelle ne fut sa surprise en arrivant sur les lieux de voir le propriétaire changer de langage : “On ne m'avait pas dit que c'était pour des émigrés”. “Pourquoi donc?” lui demande Rachida. “Ce n'est pas le même tarif, en plus, c'est en euros”, lui rétorque le propriétaire, qui lui cite tous ses voisins qui ont loué aux émigrés. Les locations d'été restent en dehors du contrôle de l'Etat et toutes les combines, comme tous les coups vicieux, sont possibles. C'est pourquoi Réda d'Alger a préféré jouer la prudence. C'est son frère aîné qui avait loué le bungalow pour 50 000 dinars pour dix jours. Il y avait séjourné déjà l'an dernier et connaît le propriétaire. Il n'a rien remis comme avance et a préféré être accompagné par son frère au premier jour de son débarquement à Rechgoune. “On ne sait jamais. Je ne vais pas risquer d'emmener ma famille, mon enfant en bas âge, pour me retrouver dans une impasse”. En face de la plage, dans les cafés et restaurants, les négociations battent leur plein au sujet des locations. C'est une véritable Bourse aux locations et tout le monde s'improvise agent immobilier et vous promet de vous emmener visiter plusieurs maisons à louer. Dans l'un des cafés face à la plage, le gérant est aux petits soins avec les nouveaux arrivants. À peine installés, il les bombarde de propositions aussi alléchantes que farfelues. Des bungalows, des cabanons, des chambres dans des appartements ou dans les deux complexes de Rechgoune, à des prix défiant toute concurrence. Il propose même de leur préparer des plats succulents de poissons et de faire le déplacement jusqu'à Béni-Saf pour leur ramener du poisson frais. “C'est l'été, ça ne dure que deux mois. Je dois gagner le maximum” ,avoue Samir, le gérant du café. Avant d'enchaîner : “Il faut venir ici en hiver pour nous comprendre. C'est pire que le désert. Il n'y a que les harragas qui trouvent leur compte dans cet endroit. L'été, tout le monde oublie ses souffrances et ses frustrations. Il y a les émigrés qui débarquent. Chacun essaye de s'en tirer de son mieux. Les jeunes désoeuvrés se rincent les yeux et se mettent à rêver d'une Beurette qui tomberait amoureuse d'eux et qui leur permettrait d'avoir les papiers outre-mer”. La plage de Madrid, qui porte bien son nom, est noire de monde. Les jeunes de la région sortent leurs plus beaux atours pour impressionner les émigrées et les vacanciers venus de partout. Avec le sourire, Halim, la vingtaine à peine entamée, rêve les yeux ouverts. “Vous voyez cette émigrée. Je finirai bien par avoir ses coordonnées et, qui sait, peut-être qu'en hiver, elle finira par m'appeler et m'inviter chez elle”. Halim ne veut pas se résoudre à prendre le large. “J'ai vu des centaines d'embarcations partir d'ici. J'ai perdu pas mal d'amis en mer. Je ne veux pas prendre de risques inutiles. Je veux trouver une émigrée qui me faciliterait l'installation en Europe”. Mais pourquoi tient-il tant à partir ? Halim éclate de rire : “Vous voulez que je devienne un rocher comme tous ceux qui meublent la plage ? Ici, il n'y a ni travail ni espoir. Juste deux mois de rêve en été et toutes les frustrations du monde”. À défaut de gros investissements en infrastructures touristiques, les autorités locales auraient pu au moins éviter le massacre subi par certaines plages, comme Terga. Les plages encore vierges pourraient bénéficier d'un minimum d'attention, afin qu'elles soient préservées de l'invasion anarchique du béton. L'absence d'une stratégie touristique est criante. La nature ayant horreur du vide, force est d'espérer que les prédateurs immobiliers ne vont pas avoir carte blanche et faire main basse sur ce qu'il reste comme plages “fréquentables” à Aïn Témouchent. A. B.