Quelques jours avant son classement en plage interdite à la baignade, notre reporter s'est rendu à Azur, goûter auprès de nos concitoyens les plaisirs de l'été. Ambiance. Arrivés relativement tôt le matin en ce samedi 5 juillet, troisième jour d'un long week-end, nous surprenons des agents communaux affairés à nettoyer, autant que faire se peut, la plage. Munis de râteaux et de pelles, ils tentent tant bien que mal de ramasser le plus gros. Il est vrai que la tâche paraît ardue en raison du manque de civisme avéré de la plupart des estivants : sachets, emballages vides, mégots et bris de verre rendent la progression pieds nus dans le sable assez risquée. Dès notre descente de la voiture, un jeune homme, muni d'un badge — une nouveauté cette année —, nous remet un ticket de stationnement moyennant 50 DA et nous guide vers un terrain vague pompeusement baptisé “parking”. En traversant la rue, un autre jeune, très pressé, nous propose un parasol pour la modique somme de 200 DA (week-end oblige). Nous le suivons à travers un dédale de parasols déjà déployés jusqu'à l'emplacement que nous avons choisi près de l'eau. Le ciel est gris en cette matinée. Cependant, le soleil nous darde déjà de ses rayons à travers la masse nuageuse. Une brise marine rafraîchit l'atmosphère, augurant d'une journée moins caniculaire que les précédentes. La foule commence à affluer et les places alentour sont bientôt toutes prises. Nous nous rapprochons du jeune qui, inlassablement, vient placer les familles au fur et à mesure de leur arrivée. Il est en compagnie de deux amis sous un parasol, un peu en retrait des estivants. Pour Omar, 30 ans, chauffeur de taxi de son état, “la saison estivale est une aubaine”. Sa concession, il l'a eue après des enchères à huis clos à l'APC de Zéralda pour une somme de 50 000 DA. Son autorisation couvre les trois mois cruciaux : juin, juillet et août. De la concession à l'abus de pouvoir “Nous n'avons commencé réellement notre activité qu'à la mi-juin en raison de tracasseries administratives. Depuis, I'affluence est moyenne en semaine. Nous nous rattrapons les week-ends, en louant tous nos parasols et chaises longues.” C'est alors qu'intervient son ami Ali, 25 ans, chômeur : “Le règlement stipule que nous devons prendre un emplacement en retrait de la plage et d'y proposer nos parasols à la location, mais nous passons outre, car nous estimons être en droit de les positionner à notre guise.” À notre réflexion sur le risque d'accaparement de la plage, il nous a répondu : “Nous laissons les gens munis d'un parasol se placer où ils veulent. Ce qui paraît matériellement impossible, tant l'espace entre les parasols est réduit.” Un incident éclate peu après entre une mère de famille et l'un des responsables de ce qui est appelé “une base”. Ayant choisi un emplacement et refusant la location d'un parasol, elle n'aura gain de cause qu'après de longs palabres. Ce qui n'empêchera pas Omar d'avancer : “Notre présence est une chance pour les estivants : dès que les personnes arrivent, nous proposons les meilleures places aux familles, de manière à ce que les jeunes restent en arrière et ne troublent pas leur quiétude.” Convaincu du bien-fondé de ses arguments, il continuera : “Nous assurons la sécurité des estivants en gardant l'œil sur ceux que nous aurons jugés peu recommandables.” Pourtant, cette mission est du ressort des gendarmes que nous voyons patrouiller de temps en temps. Sécurité pour tous Nous nous rendons à leur poste de commandement — un baraquement aux couleurs de la gendarmerie, surplombant la plage — où nous sommes reçus un peu fraîchement par un officier peu enclin aux déclarations. “Nous sommes sur place tout au long de la journée, y compris la nuit, pour assurer le maintien de l'ordre et veiller à la sécurité des personnes sur la plage. Jusqu'à présent, Dieu merci, nous n'avons à déplorer aucun incident sérieux.” Leur présence permanente est saluée par tous, aussi bien par les commerçants et professionnels de la plage que par les simples citoyens. Il faut dire que l'année précédente aura connu un taux record de vols et d'agressions. Au moment où nous nous apprêtions à quitter le poste de gendarmerie, une femme entre deux âges vient signaler la disparition de son fils de trois ans. Une fois les renseignements pris, elle est orientée vers les services de la Protection civile dont le QG se trouve en contrebas. “C'est l'incident le plus fréquent auquel nous avons affaire en raison du manque de vigilance des parents”, soulignera M. Djouahri Ahmed, chef de poste à Azur-Plage. Détaché de l'unité de la Protection civile de Bridja où il justifie de 16 ans de service, il est en fait le seul professionnel aux côtés de 6 saisonniers engagés sur la base d'un concours en mai pour la période allant de juin à fin septembre. C'est le cas de Farid, un jeune chômeur des environs. “Je suis hittiste pendant 8 mois et secouriste en été. J'ai un rapport privilégié avec la mer et ce travail me permet de joindre I'utile à l'agréable. Je sauve des vies tout en restant en contact avec cet élément qui m'est indispensable.” Des vacances gâchées Il est interrompu par l'entrée d'un jeune dont la chemise est tachée de sang. L'air abattu, il nous relatera sa terrible journée : “Je suis venu la veille de Berrouaghia avec un ami dont j'ai perdu la trace. Ayant signalé sa disparition à la gendarmerie, il m'a été suggéré de le rechercher du côté du complexe de Zéralda, et c'est là que je me suis fait agresser, tôt ce, matin par une bande de voyous qui m'ont délesté du peu d'argent que j'avais. Sans nouvelles de mon ami et sans argent, il ne me reste plus qu'à rentrer chez moi.” Pour les secouristes, ce cas de figure est fort heureusement rarissime. Leurs interventions se situent en mer où ils ont déjà effectué plusieurs sauvetages sur des personnes non respectueuses des consignes de sécurité. Pour la plupart, ce sont des jeunes gens qui préjugent de leur force et sont victimes de crampes au large. Cinq cas de noyade sont déjà recensés au niveau de cette plage, pourtant connue pour le peu de profondeur de ses eaux. Fuir la fournaise des appartements Le soleil est au zénith et le sable brûlant nous fait littéralement courir en direction de notre parasol. À côté, une famille fort nombreuse, qui s'abrite sous deux parasols à la fois, en est au déjeuner. La maman, une forte femme d'une cinquantaine d'années, déballe toutes sortes de victuailles : salade variée, frites, fromage..., et s'affaire à préparer des casse-croûte pour tous. “J'aimerais me passer de cette corvée, mais si I'on compte le transport — chaque place vaut 150 DA —, la location des parasols et les inévitables amuse-gueules, la note est plutôt salée en fin de journée. Nous sommes venus de Bab El-Oued et si les histoires colportées çà et là après le séisme nous ont retenus un temps, la canicule a fait fondre nos craintes.” Des enfants, heureux et insouciants, s'ébattent dans l'eau, tandis que des adolescents se lancent dans une partie de beach-volley qui leur attire les foudres d'un parent inquiet de la sécurité de son jeune fils. D'autres enfants moins chanceux sillonnent sans cesse la plage en proposant galettes, œufs durs, thé, cigarettes… La mer ne veut pas dire grand-chose pour eux, sauf quand ils y piquent une tête pour rafraîchir leur peau tannée par le soleil. Pour Aïcha, 8 ans, “I'argent ainsi gagné permettra peut-être de couvrir la rentrée prochaine, quoique j'en doute tant les priorités sont nombreuses”. Nous la regardons s'éloigner, le cœur serré par cette image révoltante d'innocence envolée. La fin d'après-midi voit arriver de nouveaux visiteurs soucieux de se baigner en dehors de la période de grande canicule. La plage est bondée et une atmosphère bon enfant se dégage de ce patchwork humain. Nous quittons les lieux vers 18 heures, du soleil plein la tête avec, quelque part, l'impression d'avoir pour un court instant capturé un bout d'éternité. D. L.