L'auteur de ce témoignage, âgé de 13 ans à l'époque des faits, était scolarisé loin d'Azazga (à 200 km). Arrivé le samedi 30 octobre pour assister au mariage de son oncle maternel Mohand Messaoudène, il ne se doutait pas qu'il vivrait de près le déclenchement de la guerre de Libération. Le dimanche 31 octobre, c'était la noce dans la maison de mon grand-père. La fête battait son plein avec l'arrivée de la mariée dans l'après-midi. Le baroud très nourri retentissait dans la ville. Plus tard, la nuit nous étions devant la maison de Hadj Ahmed, l'intérieur étant le domaine des femmes. Nous étions en face du siège de la commune mixte du Haut-Sebaou et également résidence de l'administrateur civil. Soudain, nous entendîmes des crépitements d'armes de l'autre côté de la résidence, face à la brigade de la gendarmerie situé à une centaine de mètres à vol d'oiseau. Intrigués, mais pas inquiets du tout, nous poursuivîmes nos discussions lorsqu'un arrivant, nous raconta que des tirs de joie étaient l'œuvre d'invités algérois qui s'étaient “égarés” chez Madame Durand (bar), proche de la brigade et de l'entrée de la résidence. Que s'était-il passé réellement cette nuit-là ? À minuit pile, cette nuit du dimanche 31 octobre au lundi 1er novembre 1954, un groupe de combattants de la liberté, d'hommes décidés venait de déclencher la première attaque de l'insurrection, conformément aux décisions du mouvement arrêtées le 24 octobre 1954 par les “six” réunis à la Pointe Pescade. Ils venaient de finaliser le texte de la proclamation historique du 1er Novembre. Krim Belkacem rappela à cette occasion que seules les forces armées, les objectifs économiques et les traîtres connus devraient être visés. Interdiction absolue d'attaquer des civils européens. Ses compagnons approuvent. Le FLN et le mouvement militaire parallèle au front : l'Armée de libération nationale venait de mettre un terme aux tergiversations du courant PPA-MTLD. Le premier noyau de l'ALN venait de passer à l'action armée contre l'occupant français. Les futurs colonels Yazzourène Mohand Améziane, dit colonel Si Saïd, Vrirouche et Ali Mellah, dit Si Chérif conduiront leur groupe qui pris position dans les jardins de l'administrateur faisant face à la gendarmerie. Lorsque les gendarmes voulurent sortir pour aller au secours du représentant de l'administration coloniale, ils furent pris sous le feu desmoudjahidine, qui les avaient isolés (téléphone coupé). Après avoir occupé l'espace durant plus d'une heure, Si Saïd fit incendier le plus grand dépôt de liège d'Algérie et tire une salve de Sten sur la maison du colon le plus raciste de la région. Deux jours plus tard, le magasin de Si Saïd et son camion et ensuite, le 5 novembre, sa maison furent détruits par l'administration coloniale, qui arrêta son épouse et son fils aîné (futur officier mort au champ d'honneur en 1960). Les occupants des deux véhicules qui s'étaient rendus à son village furent tous abattus. Le combat prenait une autre tournure. C'était sérieux. Plus tard, en décembre 1955, lorsque la France voulant rééditer un coup (expérimenté au Vietnam) par l'infiltration du mouvement en armant et finançant des Algériens contre les moudjahidine sous le nom de code : “Opération Oiseau Bleu”, c'est Vrirouche qui fut désigné par Krim pour gérer l'affaire. Elle s'est soldée par la fourniture par les services secrets français de 1 200 armes, des munitions, de l'argent (300 millions de francs)… et l'élimination des traîtres envoyés par les services secrets français. Les Français venaient de fournir à l'ALN des moyens conséquents qui furent, en réalité retournés contre elle. Ce fiasco franco-français à tout simplement doté la Wilaya III d'armes modernes qui grossirent les rangs ; ses rangs puisque le recrutement de jeunes patriotes à été essentiellement fait par Vrirouche, assisté par les futurs commandant Ahmed Zaïdat et capitaine Saïd Mahlal. Informé par Krim, le congrès de la Soummam a décidé l'intégration immédiate de tous les combattants dans les services réguliers de l'ALN. Le groupe de Maâtka a été arrêté par l'armée française avant l'arrivée de l'ordre de départ. Le témoignage est un devoir de fidélité et de reconnaissance envers nos chouhadas. C'est aussi un devoir de vérité à l'égard de nos enfants, car ils doivent connaître l'histoire de leur pays. L'indépendance a été arrachée par le sang généreusement versé par nos martyrs (1 500 000) et l'engagement majoritaire des populations avec les moudjahidine qui luttaient à armes inégales contre l'armée française. L'indépendance n'a pas été octroyée par le général de Gaulle. Il a cédé, contraint et forcé, après avoir mis en œuvre tous les moyens pour garder l'Algérie française. Son armée a commis les pires atrocités contre notre peuple et sa vaillante armée de Libération nationale. 8 000 villages rasés, des millions de civils parqués dans les camps de regroupement, des milliers d'internés dans les camps de concentrations et les prisions, les centres de triage et de torture tels les DOP de sinistre mémoire. Un Algérien sur six est mort dans les combats, sous les bombardements ou sous la torture. On a même achevé les blessés. Les commandos spéciaux, déguisés ou non, tuaient froidement les membres des familles dont les hommes étaient au maquis.La Main rouge était un mythe créé pour brouiller les pistes et couvrir les exactions des barbouzes à l'exemple du “commando Georges”. C'est d'ailleurs ce “modèle” qui a été calquée par l'OAS (Organisation de l'armée secrète). Organisation fasciste créée par les ultras colonialistes et les putschistes qui tentaient de s'opposer à la marche victorieuse du peuple algérien.Toute la puissance de la France a été tenue en échec par la Révolution algérienne dont les dirigeants (Rahimahoum Allah) éclairés ont étendu le combat libérateur sur le sol français, en plein cœur de Paris. C'était fini : la France coloniale ne pouvait plus tuer en vase clos en Algérie. L'opinion publique française et le monde entier prirent conscience de la gravité de la situation ainsi que de la légitimité et du sens de la lutte d'un peuple oppressé par le colonialisme. De Gaulle fut obligé de négocier, non sans avoir tenté d'opposer les Algériens entre eux, d'imposer sa solution : “La paix des braves” qui, en clair, signifiait : rendez vos armes et ma France grande et généreuse vous pardonnera ! En vain. Ensuite la partition de notre territoire national en zones françaises et zones algériennes tout aussi vaine. Puis la dernière grosse ficelle : la séparation du Sahara du reste de l'Algérie. Mais les négociateurs du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) sous la conduite de notre valeureux Krim Belkacem (seul chef historique en liberté et vivant) surent déjouer toutes les manœuvres et pièges tendus par le gouvernement français qui dut se résoudre à la solution finale de l'indépendance totale par voie d'autodétermination.Le peuple algérien recouvre sa souveraineté à l'issue de ce vote le 3 juillet 1962, les sacrifices n'ont pas été vains. “Rahima Allah chouhada ouna.”Jeunes algériens : l'avenir vous appartient. L'Algérie est un beau pays. C'est votre pays. Vous devez, vous pouvez reconquérir votre citoyenneté. L'Algérie, notre pays, que Dieu a dotée de toutes les richesse du sol et du sous-sol et de son soleil et ce beau ciel bleu, est un pays riche. Le peuple algérien ne saurait être pauvre ! L'Algérie française a vécu. Mais l'Algérie algérienne authentique pour laquelle sont tombés les meilleurs fils de notre pays, celle de la justice sociale et de la citoyenneté reste à faire. Elle est en gestation.Les trahisons, les reniements, les usurpations des prévaricateurs de tous bords, qui, par leurs forfaitures, ont ruiné le peuple et s'échinent à vendre le pays, paieront un jour. “On ne peut leurrer tout un peuple tout le temps.” Nous vivons presque tous la situation présente comme une grande humiliation. Cela ne doit pas durer. Jeunes Algériens, Algériennes, l'exil, la fuite et la résignation ne sont certainement pas la solution aux problèmes que nous vivons ! Emigrer, c'est aller enrichir les néo-colonialistes et autres avec votre force, votre savoir. Vos capacités doivent être valorisées ici. C'est votre droit à l'épanouissement chez vous. Une des causes profondes de la prédation actuelle est due à la falsification de l'histoire. L'oubli des héros au profit des faux moudjahidine et/ou des traîtres devenus honorables combattants, alors que pendant la guerre, celui qui lève les mains pour sauver sa peau était qualifié de m'rendi (traître). Vous devez également savoir que nous avons dénombré seulement 48 000 (maximum) moudjahidine en avril/mai 1962, pour l'ensemble des 6 Wilayas historiques de l'intérieur, les frontières et les prisonniers libérés après le 19 mars. Vous constaterez que c'est sans commune mesure avec les chiffres qui circulent actuellement et dont une bonne partie sont des goumiers, des fils de harkis bien connus, ainsi que des civils et des militaires et supplétifs de l'armée française, de l'administration coloniale française… et même marocaine, sans omettre ceux qui ont accompli le service militaire dans l'armée française pour ne pas monter au maquis faire leur devoir d'Algériens. sBeaucoup de ces renégats sont devenus des notables gratifiés de la qualité de moudjahid. Leurs noms figurent pourtant et pour l'éternité dans les archives de l'infamie, ainsi que les fascicules imprimés par la France, lesquels ont été diffusés à toutes les autorités coloniales et métropolitaines à l'époque sous la qualité de fidèles alliés, d'élus, de membres des comités du salut public, serviteurs de l'Algérie française, de la France. Et donc, ils devaient être traités avec égard. “J'ai moi-même remis à l'époque plusieurs exemplaires du fascicule spécial aux plus hautes autorités de la République.” Tous se sont infiltrés dans les rouages du parti et de l'Etat dès 1962, qui à partir de la force locale, qui à partir de l'administration intérimaire, qui ensuite de multiples manières puisqu'ils avaient acquis l'expérience auprès de leur maître, ils entrèrent par effraction et, souvent, grâce à des complices coupables de trahison (reniement) dans la haute administration qui manquait de compétences. D'autres ont investi dans le commerce pour un certain temps avant d'être intégrés dans les rouages et devenir des notabilités de premier plan. Même les “trésors” de guerre, des fonds de l'ALN ont été volés par eux. Je me souviens encore d'une conversation avec le défunt Kasdi Merbah au cours de laquelle je lui faisais remarquer que “tout de même, il y a des traîtres partout”. Sa réplique a été : “Oui, car ce n'est pas un fils de famille qui acceptera de faire le sale travail mais ils sont sous contrôle.” Après, plusieurs sont devenus des ministres ou autres hauts responsables dans toutes les institutions de la République. Nous en connaissons un nombre impressionnant. La crise, pour ne pas utiliser le mot guerre civile, de 1962 est due seulement à des assoiffés de pouvoir. La trahison est l'œuvre de ceux qui ont usurpé l'algérianité. Ils ont été portés au pouvoir par des armes qui n'ont jamais été utilisés contre l'armée française. Aujourd'hui, combien, parmi notre jeunesse, connaissent les héros libérateurs de la Patrie ? Et dont l'évocation même de leurs noms était passible d'ex-communion. Existe-t-il des villes, des quartiers, des cités, des places, des boulevards, des rues, des stades, des universités, des aéroport, des ports, des institutions, etc. qui portent les noms des héros du 1er Novembre, tels les colonels de l'ALN Si Nacer (MS) Ouamrane Amar, Si Salah, Si Saïd Vrirouche, Si Mahmoud Chérif, Si Moh Ould Hadj Akli, Si Sadek Dehilès, Si Salah Boubnider ; les commandants Si Ahcène, Si Kaci, Si Tayeb, Si Moh Ouali, Si Hmimi, Ahmed Zaïdat, Si Abdellah, Si Saïd Mahlal, Petit Amirouche, Si Abdelmoumen, Si Lounès Amalou, Hidouche, Hdidouche, etc., sans taire la dizaine de cousins Touabi et tant de milliers et, enfin, le grand stratège commandant de la première heure Da Omar Oussedik, dit Vouthqelmounte. Rahimahoum Allah sa nakounou awfya lakoum. M. T. *Officier ALN économiste retraité