Il y a 25 ans, s'éteignait à Tlemcen à l'âge précoce de 42 ans un grand musicien : cheikh Larbi Louazani qui a consacré une partie de sa vie à la mise en valeur du patrimoine musico-andalous tant au niveau de sa région que dans d'autres contrées. Il demeure malheureusement quasiment absent des mémoires depuis sa disparition en 1984. Ce musicien d'exception a débuté sa carrière dans les années 60 avec l'association musicale “ Gharnata” qui, rappelons-le, a remporté le premier prix et la médaille d'or au premier Festival de musique andalouse organisé à Alger en 1964 ainsi que de nombreuses autres consécrations nationales et internationales. El Hassar Bénali, journaliste et écrivain, auteur de deux ouvrages sur le legs tlemcénien et maghrébin de la musique andalouse, témoigne : “À l'instar d'autres artistes, dont les travaux et œuvres se perdent ou sont en proie au plagiat, ce cheikh aura vécu tel une bougie qui illumine son entourage et se meurt à petit feu.” Après ses premiers pas avec “ Gharnata” où il s'est imposé pendant dix ans dans cette même association avec la particularité d'exceller dans le jeu du luth, cheikh Louazani qui a tenté pendant un certain temps l'expérience du théâtre avec l'association de la maison de la radio de Tlemcen, décide en 1970 de créer sa propre troupe de chants et musique populaire et moderne baptisé “ El Farah”. A l'actif de ce musicien de talent qui s'adonnait également à la sculpture et aux arabesques et qui a décoré lui-même l'intérieur de la mosquée du populeux quartier Boudghène, figure une trentaine de chansons dont deux succès populaire Dib a yatraba et Meriem outre une dizaine de chants patriotiques, entre autres Bladi ya el ghalia et Ya warda . Avec un cachet qui lui était propre, cet artiste tisserand de son métier a formé de nombreux musiciens comme l'un de ses disciples, Belhadjar Abdennacer, lequel a pris le flambeau de la troupe musicale El Farah qui témoigne : “ Nous avons beaucoup appris de notre maître qui animait des soirées à Constantine, Alger, Oran, Mostaganem, outre les fêtes et mariages à Tlemcen. Ses chansons étaient sur les lèvres des jeunes et des vieux car elles concernaient toutes les classes et catégories sociales.” Son compagnon de lutte ajoute : “Alors qu'on répétait pour préparer l'animation dans le cadre des festivités du 1er novembre 1979, notre cheikh tomba subitement malade, avec paralysie de la moitié de son corps. Malgré son handicap, il a pu poursuivre avec courage et abnégation son œuvre musicale engagée jusqu'à la date fatidique du 10 mai 1984, date de sa mort.” Depuis, cheikh Louazani tomba dans l'oubli et ses chansons n'ont pu être enregistrées sur disque ou autre support électronique “devant l'obstination de l'ex RTA qui exigeait le don gratuit de trois chansons, ce qui fut fait pour deux titres seulement.” Les contraintes matérielles du cheikh ne lui ont pas permis de poursuivre cette tâche qui exigeait “15 à 20 jours pour enregistrer une chanson, ce qui constituait un facteur démoralisant pour quelqu'un qui devait en plus travailler pour subvenir aux besoins de sa famille composée de neuf enfants.” Cette situation devait engendrer le risque de déperdition de ce patrimoine exposé par la force des choses au plagiat “d'artistes parasites” qui ont tenté de reprendre à leur compte certains titres dans un but lucratif, selon M. Belhadjar, la troupe El Farah continue de former des jeunes pour perpétuer le souvenir de cheikh Louazani, et ainsi participer activement à la préservation de ce patrimoine musical.