Il n'y a rien qui mérite d'être respecté autant que la souffrance, monsieur Ghlamalah ! Nul n'est peut-être tenu de l'éradiquer, mais il n'est pas permis de la nier. “Oua hadah adâaf el-imen !” Le négationnisme est un crime quand il s'agit d'une vérité historique ; il devrait l'être aussi quand il viole une réalité qui touche les humains au présent. En néantisant dans l'émission “Nikat aala hourouf” — traductible par “les points sur les i” ! — de la Radio Internationale, la misère qu'endurent des millions d'Algériens, Bouabdallah Ghlamallah a ajouté l'offense à l'épreuve. Au-delà de l'échec social de sa politique, à quel crédit un gouvernement peut-il prétendre quand, par une voix, il admet avoir recensé un million deux cent mille familles nécessiteuses, et par une autre, traite ces pauvres d'invention médiatique ? D'un côté, son ministre de la Solidarité joint l'utile à l'agréable, profite du Ramadhan pour relancer, comme à chaque opportunité symbolique, l'œuvre de générosité politicienne dont il a la charge et le budget ; de l'autre, son ministre du culte choisit le même mois d'entraide pour nier l'existence même des pauvres. Par contre, dans cet effort de mystification, l'indigence de l'argument est réelle. Il trouve dans le million et demi d'Algériens qui passent des vacances en Tunisie l'illustration du bien-être national. Mais la Tunisie, ce sont les vacances du pauvre, monsieur le ministre ! Même à prix égal, ils iraient là où ils n'entendent pas l'anathème jeté à travers des haut-parleurs de l'Etat, à leurs femmes et leurs filles parce qu'elles vont à la plage. Les riches Algériens ne vont pas en vacances du tout ! Ils gagnent de l'argent ici et vont chez eux en Suisse, à Londres, sur la Côte-d'Azur, sur la Riviera, à… Dubaï ou en… Turquie. Et les “quarante vols quotidiens” qui servent de seconde référence au révisionnisme social du ministre sont, en réalité, l'effet d'une nouveau mode de nos pontes, dont le pouvoir doit être bien au courant : le père amasse la fortune en Algérie et rejoint, chaque week-end, semi-universel maintenant, la famille qui habite, vit, étudie et, parfois, investit dans ces lieux de prédilection pour la résidence de nos notables. Ghlamallah trouve même dans la harga motif à récuser la réalité de la désespérance des harragas. Mais c'est justement là la preuve de leur extrême désespoir, monsieur le ministre : ils se saignent pour s'en sortir et se sortir de leur pays devenu prison. Tous les désespérés font cela à un moment donné : ils misent tout jusqu'au dernier bien, leur vie y compris, pour mettre fin à leur condition ou… mourir. Et si un responsable veut voir la pauvreté, pas besoin d'aller loin dans les profondeurs du pays ni de croire aux “inventions de la presse”. Voici des adresses gratuites pour ses soirées d'humanité en ce mois sacré : la place Audin où des enfants dorment face au prestigieux siège d'Air Algérie, alignés en sardines sur des cartons d'emballage ; toutes les poubelles de la ville où des pauvres qui n'existent pas viennent chercher leur pitance ; les décharges publiques de tout le pays où les enfants vont faire les chiffonniers, et bien d'autres lieux qu'on n'atteint pas par avion. Et, enfin, s'il n'y a pas de pauvres, monsieur le ministre, que faites-vous de l'argent de la zakat, de la fitra et des budgets des associations… caritatives ? M. H. [email protected]