Les cafés sont bondés : il y a ceux qui dégustent et ressortent et ceux qui jouent aux dominos et aux cartes. Les cris des compétiteurs et le bruit de l'écrasement des dominos sur les tables se mélangent aux klaxons des véhicules et au brouhaha des passants. Le Ramadhan à Bouzeguène n'a pas dérogé à la tradition. La population des Ath Yedjar reste très attachée aux us et coutumes ancrées dans les racines profondes de la société. L'arrivée du Ramadhan est toujours accueillie avec une grande ferveur et une sacralisation qui ne fait preuve d'aucune défiance. Quelques jours avant l'arrivée du mois sacré, beaucoup de ménages se préparent à l'accueillir dans les meilleures conditions possibles. Les mères de familles investissent les marchés et les boutiques pour s'approvisionner en denrées de large consommation, utilisées dans les mets préparés pour le f'tour. Ces denrées constituent un marché que lorgnent avec convoitise toutes les ménagères et que les commerçants exposent sur leurs étals dans tous les magasins, les marchés, les boutiques d'alimentation générale, les grandes surfaces, etc. Ces commerçants, en bons connaisseurs, réservent une place de choix aux produits et aliments de consommation courante, pendant le mois de jeûne. Ainsi en est-il des céréales, fruits secs, épices, piments salés, olives, beurre et ses dérivés, viande, etc. La préparation des plats, aussi variés les uns que les autres, pendant le mois de Ramadhan, focalise toute l'attention des mères de familles. Bien que les livres de cuisine soient disponibles à profusion dans les librairies, les plus exigeantes de nos cuisinières, dans le village, préfèrent s'échanger des expériences dans la préparation des différents menus pour épater, qui leurs enfants, qui encore leurs maris et autres invités surprise. La bonne cuisine est un immense chalenge à relever. L'objectif principal est surtout d'éviter de grever le budget familial dès les premiers jours du Ramadhan. La prudence est de mise et les mères de famille savent très bien qu'il ne faut pas tomber dans le piège de la tentation au simple regard. “Il ne faut pas manger avec les yeux !”, dit-on depuis toujours. Quand le prix des denrées alimentaires est multiplié par trois, la prudence doit prévaloir. Mais, comme partout ailleurs, il y a toujours des gens, même les plus prudents, qui ne résistent pas à leurs appétences. Ils ne résistent à rien et repartent quotidiennement à la maison avec des sacs remplis à craquer. Le Tounsi assailli À Bouzeguène, de bon matin, de nouveaux étalages de fruits et de légumes, de fromage, de dattes, de sirops, etc., attirent avec force les clients. Des chaînes se forment devant tous les magasins et même les boucheries qui affichent des prix à vous donner le tournis, sont submergées par un monde fou. Et pour paraphraser Dilem, un jeune fonctionnaire s'est adressé au boucher pour lui dire : “Vos prix ressemblent, sans exagération à une véritable demande de rançon !”. Ce qui est étonnant, c'est qu'en dépit des prix affichés, 700 dinars le kilo de viande avec os et 1 200 DA le kilo de steak, le boucher arrive quand même à liquider, chaque jour deux taureaux immolés, tôt dans la matinée. “La viande est indispensable durant le mois de Ramadhan : ça donne du goût même avec un bout d'os ou un morceau de graisse”, marmonne un vieux retraité. Dans l'après-midi, c'est la ruée vers les marchands de zlabias, ces tortillons, oranges, imbibés de miel. Le Tounsi est pratiquement assailli. Pressé, il met sur sa balance des zlabias brûlantes qui viennent juste de sortir de la poêle et du plat de miel. Le Tunisien fait de son mieux pour servir tout le monde avant l'adhan. Poker, dominos et tarawih Et c'est avec un bout de zlabia que le jeûne est rompu, parfois aussi avec des dattes ou des figues sèches pour les plus chanceux. Plusieurs plats sont préparés dans tous les foyers mais le potage est un plat incontournable pour les jeûneurs. Manger modérément est le maître mot pour éviter de tomber malade. Contrairement aux années précédentes, cette année, les médecins de la polyclinique de Loudha n'ont, semble-t-il, pas reçu de malades victimes de troubles digestifs, dus à l'ingestion excessive d'aliments. Il fait nuit, et voilà tous les villageois, à pieds ou en fourgon, qui s'empressent de rallier le chef-lieu de la commune. Bouzeguène qui se transforme subitement en épicentre d'une attraction pittoresque. Pas un centimètre libre sur tout le long des trottoirs, encombrés par des véhicules, des badauds et des barbecues installés par des jeunes et d'où se dégagent des odeurs de bois brûlé et de viande grillée en brochettes. Les cafés sont bondés : il y a ceux qui dégustent et ressortent et ceux qui jouent aux dominos et aux cartes. Les cris des compétiteurs et le bruit de l'écrasement des dominos sur les tables se mélangent aux klaxons des véhicules et aux brouhahas des passants. Au même moment, une grande partie de gens, se retrouvent dans les mosquées pour la prière des tarawih. Même les femmes ont leur place dans les mosquées pour accomplir ces tarawih qui durent près d'une heure trente. Les imams diffusent chaque nuit la parole de Dieu en appelant à la piété, à la sagesse et à la tolérance. Il y a autant de monde dans les mosquées que dans les rues. Parfois des fidèles ramènent des dattes, des zlabias, des beignets et des jus pour les offrir aux fidèles qui ne manquent pas d'en savourer avec concupiscence. L'an dernier, la mosquée de Bouzeguène a enregistré un événement de marque, celui de la conversion à l'islam d'un franco-italien, Raymond Vannucci, retraité et grand ami de François Fillon, Premier ministre français. Il a prononcé la chahada devant l'imam et devant tous les fidèles présents aux prières des tarawih. À partir de 23 heures, les rues commencent à se vider et c'est bientôt le moment du shor. Cependant, beaucoup en font l'impasse, préférant dormir directement jusqu'au matin. Ainsi donc, se passe le Ramadhan à Bouzeguène. Un Ramadhan qui n'est pas seulement synonyme d'abstinence de la nourriture, mais aussi et surtout de prendre sa distance envers son corps et pour se rappeler la faim du pauvre.