Les intervenants ont mis en relief les blocages qui persistent dans le développement économique de l'Algérie et plaidé pour une plus grande transparence dans le processus de privatisation, ainsi qu'un rôle plus accru pour le privé national. La stratégie industrielle a été au centre des débats d'une rencontre organisée dans la soirée de mardi au siège national du Front de libération nationale (FLN) à Hydra. Présidée par le SG du parti, Abdelaziz Belkhadem, cette rencontre animée par l'expert Mustapha Mekidèche a vu la participation de plusieurs personnalités. Il s'agit de Amar Tou, le ministre des Transports, Abdelhamid Temmar, ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, AbdelWahib Bouabdallah, P-DG d'Air Algérie, Issad Rebrab, P-DG de Cevital, Moussa Benhamadi, P-DG d'Algérie Télécom, Abdelkader Hadjar, ambassadeur d'Algérie au Caire, ainsi que des militants du parti et les membres de son comité exécutif (Abdelkrim Abada et Saïd Bouhedja). Lors de son intervention, Mustapha Mekidèche a indiqué que la stratégie industrielle durant les années 1970 avait donné la priorité à la mise en place des usines et aux formations technologiques, mais que le processus d'industrialisation a été brutalement arrêté dans les années 1980. La démarche était productiviste. “Nous étions orientés vers une logique de substitution aux importations”, a-t-il indiqué, tout en expliquant que “durant les années 1990, les entreprises n'avaient plus la taille critique pour amortir les dépenses de développement et de renouvellement”. Plaidant en faveur de la mise en œuvre d'une véritable stratégie industrielle à même de permettre une diversification de notre économie, M. Mekidèche affirme qu'“il s'agit d'un problème de sécurité nationale puisque nos exportations hors hydrocarbures ne sont que de l'ordre de 2%”. “Il y a une forte pression sur la balance des paiements, dit-il, et certains opérateurs économiques n'ont pas compris que la priorité des pouvoirs publics est de maintenir les grands équilibres extérieurs.” Il expliquera à ce propos que “l'objectif étant d'assécher les rentes qui partent vers l'importation”. Plus explicite, il indiquera qu'“il faut avoir une ambition industrielle nationale”, tout en précisant que pour que la stratégie industrielle soit efficace, il faut qu'elle s'appuie sur le marché, qu'elle se fasse avec l'Etat et qu'elle veille à la cohésion sociale. Sur ce dernier point, l'intervenant fera remarquer que “80% des chômeurs n'ont pas de métier ni de qualification professionnelle”. Cette situation lui fait craindre le pire. “Nous sommes en train de créer une crise sociale avec ces primo-demandeurs d'emploi”, lance-t-il. Dans le même temps, il revendiquera une amélioration du climat des affaires. Evoquant les privatisations, M. Mekidèche exigera plus de clarté dans le processus de privatisation des entreprises. “Il faut conduire les privatisations de façon claire, il faut trancher définitivement cette question des privatisations en décidant de la conduite à tenir une bonne fois pour toutes.” Aussi, et en appelant les pouvoirs publics à plus de concertation avec les partenaires sociaux avant l'élaboration des lois, M. Mekidèche trouvera incongrue la tenue des tripartites pour résoudre des problèmes pouvant être réglés avec les prises de décision. De son côté, le ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, Abdelhamid Temmar, a expliqué qu'on ne peut pas comparer la stratégie industrielle actuelle avec celle des années 1970. “Ce n'est pas le même contexte et nous évoluons dans une mondialisation qui elle-même n'est pas statique”, dit-il d'entrée. “Il faut totalement oublier l'industrie industrialisante, l'industrie légère et lourde, ces histoires sont totalement terminées !” tranche-t-il. Aux yeux de M. Temmar, au moment où d'autres pays à l'image de l'Egypte, du Maroc, du Vietnam s'adaptaient à la donne de la mondialisation et élaboraient leur stratégie industrielle, “nous, on était fermé dans nos problèmes”. “C'est pour cela qu'on ne peut pas comparer notre économie avec celle de nos voisins”, dit-il. À ce propos, le ministre de l'Industrie dira que notre pays recèle d'importantes possibilités de développer son industrie, arguant que “nous avons une base en la matière même si l'on n'a pas avancé”. “Nous sommes dans l'industrie chimique, mécanique et électronique et on a même la maîtrise du ciment, ce qui n'est pas le cas de nos voisins”, fait-il remarquer. “Maintenant, nous démarrons avec une base solide, nous avons la stabilité, nous avons l'argent ainsi que les cadres et les compétences”, dit-il tout, en expliquant que “nous pouvons développer la mécanique, la chimie et le véhicule industriel”. Aussi, tout en indiquant que dans le secteur de l'industrie, l'Etat est majoritaire à 80%, le ministre soulignera que les pouvoirs publics ont l'intention d'associer le privé “sérieux” dans la stratégie industrielle. “Nous allons aider le privé à s'organiser dans ce secteur”, a-t-il noté. Rebrab : “Il ne faut pas compter sur les étrangers pour développer le pays” “Nous n'avons aucun problème avec le transfert des technologies les plus évoluées, les technologies s'achètent comme n'importe quelle marchandise”, a déclaré de son côté Issad Rebrab, le P-DG du groupe Cevital, lors de son intervention durant les débats. Il indiquera que “nous sommes prêts à transférer cette technologie, car pour nous le transfert technologique est un faux problème”. Aussi, tout en estimant que les Algériens ont les aptitudes de développer notre pays, Issad Rebrab dira que “si l'on compte sur les étrangers pour développer notre pays, on se trompe. Si les enfants de ce pays ne le développent pas, personne ne le fera à leur place”. “Le privé seul ne pourra rien faire sans l'Etat. Et l'Etat seul ne pourra pas développer l'économie”, dit-il. Evoquant les problèmes rencontrés par les patrons d'entreprise, il expliquera qu'“à mon grand étonnement, j'ai constaté que les entreprises publiques ont les mêmes problèmes que les entreprises privées en matière de bureaucratie.” “D'où vient cette bureaucratie ?” s'interroge-t-il avant de répondre : “Elle vient du fait que nous sommes dans une organisation méfiante qui crée de la suspicion, qui a pour conséquence que le fonctionnaire a peur de prendre ses responsabilités.” “La bureaucratie inhibe la créativité et sclérose le pays, mais il faut instaurer la confiance dans notre pays”, poursuit-il. Evoquant l'évolution du groupe Cevital, Issad Rebrab soulignera qu'“en 10 ans, nous avons réalisé une croissance moyenne annuelle de 50%, notre contribution au budget de l'Etat ainsi que notre création d'emplois sont faits dans les mêmes proportions”. Aussi, sur la manière dont devra se faire la stratégie industrielle, Rebrab dira que “si cette industrie n'est pas basée sur la compétitivité internationale, ce sera l'échec. On ne doit pas faire de distinction entre le secteur public et le secteur privé. Ce sont les petites et moyennes entreprises qui peuvent devenir des champions. On ne peut pas faire des champions avec des adultes. Il faut soutenir les entreprises à travers le foncier industriel. On vend des terrains aux enchères, cela ne s'est produit dans aucun pays”. Avant de s'interroger : “Combien de projets ne sont pas réalisés à cause du problème du foncier ?” Bouabdallah : “il y a des freins occultes à la stratégie industrielle” “Nous avons élaboré une stratégie industrielle qu'on a débattue et soumise au président de la République et qu'on a même dévoilée aux étrangers, mais jusqu'à ce jour, elle n'est pas mise en œuvre”, a estimé pour sa part le président-directeur général d'Air Algérie en intervenant lors des débats. AbdelWahid Bouabdallah relèvera l'existence de “freins occultes à la stratégie industrielle”, avant de s'interroger : “Mais qui est l'auteur des freins à la mise en œuvre de la stratégie industrielle ?” Expliquant sa propension à défendre les entreprises publiques, M. Bouabdallah citera Cosider comme exemple de la viabilité de ce secteur. Dans la même optique, et en évoquant les années 1970, M. Bouabdallah indiquera que “nous avons créé des sociétés avec un capital social fictif”. “Les politiques ont tué les sociétés nationales”, dit-il avec regret. “On a dit qu'il y avait de mauvais gestionnaires, c'est faux ! Ils n'avaient pas les moyens de se développer tout simplement parce qu'il n'y avait pas de stratégie industrielle, il fallait gérer au jour le jour”, déplore-t-il. Aussi, s'agissant de l'actuelle stratégie industrielle, M. Bouabdallah notera qu'“on a défini trop tard les secteurs devant être concernés par la stratégie industrielle”, avant de conclure sur la propension des pouvoirs publics à prendre des décisions extrêmes : “L'Etat quand il fait une faute, il va à l'extrême, il ferme tout.”