Nacereddine Sadi est économiste, spécialiste des questions de privatisation. Professeur à l'université Pierre Mendès France de Grenoble, il a récemment publié un ouvrage consacré à ce sujet, intitulé La privatisation en Algérie : objectif, modalité et enjeux. Il nous livre dans cet entretien un aperçu des conclusions auxquelles il est parvenu. En tant qu'économiste, vous vous êtes intéressé aux réformes économiques engagées par le pays depuis plusieurs années. Votre dernier ouvrage porte sur une étude que vous avez menée sur la problématique des privatisations en Algérie. Pouvez-vous nous en parler ? Je me suis intéressé aux réformes économiques engagées par l'Algérie depuis 1986. Cet intérêt a débouché sur une recherche dans le cadre d'un doctorat en sciences économiques où j'ai eu la possibilité d'analyser les concepts théoriques de la transition économique et de l'économie de développement et de vérifier leur applicabilité dans des contextes spécifiques tels que celui de l'Algérie. J'ai eu également à mener une réflexion sur la base d'une observation clinique du déroulement du processus de transformation engagé depuis 1988. J'ai voulu ainsi apporter ma contribution à l'explication des causes et des facteurs de blocage qui ont fait que certaines réformes n'arrivent pas dans les faits à connaître une réelle concrétisation et à donner les résultats attendus. Pour ce qui est de cet ouvrage, il convient de distinguer trois grandes parties. La première est une étude rétrospective sur la formation et l'évolution du secteur public en Algérie. Une seconde partie traite de toutes les théories spécifiques qui tentent d'expliquer ou de justifier les contre-performances « naturelles », si j'ose dire, du secteur public. Ce volet a été clôturé par l'établissement d'un bilan du processus de privatisation en Algérie de 1995 à 2003 avec une analyse sans complaisance des causes qui ont fait que la privatisation n'a pas pu dépasser le stade des intentions et du marketing politique. La troisième partie de la recherche m'a permis de situer les enjeux sur un plan multidimensionnel et de formuler des recommandations pratiques. Quel bilan faites-vous alors de la privatisation en Algérie ? Si l'on approche la privatisation en Algérie selon la conception anglo-saxonne, on peut dire que le pays a fait un bon pas en avant. C'est une privatisation par le bas qui déréglemente, démonopolise et qui encourage la promotion du secteur privé dans l'économie nationale. Mais si l'on se réfère à la conception française qui limite la privatisation au seul transfert physique des entreprises, on peut dire que l'Algérie n'a vraiment pas avancé. Nous avons vendu quatre entreprises (l'hôtel El Aurassi, Saidal, Erriad et Sider) à hauteur de 20% de leur capital par la voie de la Bourse. Mais par rapport à un secteur public qui pesait dans le passé 30 milliards de dollars, la vente de quatre entreprises ne représente pour moi absolument rien du tout. Quelles en sont les causes, selon vous ? Il y a une multitude de facteurs qui ont fait que la privatisation physique n'arrive pas à avancer. Sur le plan politique, l'Etat ne s'est pas déterminé rapidement. Il n'y avait pas une volonté de se désengager de la sphère économique et ce n'est que ces dernières années que l'Etat commence à afficher de façon claire la procédure à suivre. Il faut dire aussi qu'il y avait des oppositions au sein même du personnel politique entre les conservateurs et les libéraux. La question de la privatisation a été mal gérée et le débat, parfois contradictoire, a été porté sur la place publique par le personnel politique même et c'est ce qui explique en partie que les investisseurs étrangers ont eu peur de s'aventurer. Sur le plan juridique et institutionnel, la mécanique juridique a été mal entamée dès le départ. Des textes de loi ont été promulgués en 1995 mais contenaient plein de facteurs de blocage. On était trop exigeant en matière de garantie, de durée, de prix et tant d'autres choses qui ont découragé beaucoup d'investisseurs. Aussi, ces lois comportaient une multitude d'organes qui avaient tous des prérogatives de privatisation (holdings, CNP, etc.) Sur le plan économique, il y a lieu de dire que l'état des entreprises ne permettait pas d'aller très vite dans la privatisation. La quasi-totalité de nos entreprises était dans une situation de déconfiture et de faillite et souffrait d'une déstructuration financière énorme et d'endettement lourd. Cette situation a donné lieu à un débat qui est malheureusement resté stérile sur la question de savoir est-ce qu'il fallait restructurer puis privatiser ou bien privatiser d'abord et laisser l'investisseur se charger de la restructuration. Cette question revêt une grande importance, car pour privatiser il faut commencer par les entreprises qui présentent des gains financiers futurs assez importants. Cela attirera les investisseurs et démontrera au peuple que la privatisation est une bonne opération qui permet de réaliser de bonnes opportunités. Certains disent, justement, qu'au lieu de privatiser l'Etat devrait restructurer les entreprises publiques non performantes pour leur permettre d'être plus concurrentielles... Dans tous les cas de figure, nous sommes un pays en voie de développement et l'Etat algérien a besoin d'un outil lui permettant de faire de la politique économique et de faire de la régulation sociale et il a intérêt à ne pas se démunir du secteur public. Donc nous avons besoin d'entreprises publiques qui sont souvent dans des secteurs émergents. Des entreprises dont le capital peut être cependant ouvert à des investisseurs étrangers ou nationaux pour insuffler des logiques de gestion privée dans le management. De plus, la tendance mondiale actuellement a fait une marche arrière et encourage aujourd'hui la réhabilitation du secteur public. Mais l'Etat ne doit pas jouer le rôle de brancardier ou de pompier, car s'il le fait il risque de tomber dans le cercle vicieux des années 1970 où les entreprises étaient soumises à des contraintes financières énormes, à la non-gestion et à un certain nombre de phénomènes qui ont fait que le secteur public n'a pas joué son rôle. L'Algérie prépare activement son adhésion à l'OMC et l'accord d'association signé avec l'UE entrera prochainement en vigueur. Comment voyez-vous l'avenir des entreprises algériennes ? Les accords d'association signés avec l'Union européenne sont une bonne chose. Mais si l'on ouvre les portes de l'économie algérienne sans avoir une capacité d'exportation, je suis plus que convaincu qu'on connaîtra des situations malheureuses pour notre économie, en ce sens qu'on risque de perdre tout le secteur public ou privé algérien. C'est que le secteur privé n'a pas été habitué à la sanction du marché et ne peut pas affronter les firmes multinationales ; le secteur public n'est pas non plus en mesure de le faire. Par conséquent, bon nombre d'entreprises vont mettre la clé sous le paillasson et l'économie algérienne sera régie par des firmes multinationales. La stratégie des multinationales ne peut jamais concorder avec les stratégies de développement des pays hôtes. Ce qui les intéresse, c'est faire du business, réaliser des affaires et gagner de l'argent. A mon avis, l'Etat doit prendre des mesures sérieuses et mettre en place des démarches de mise à niveau de l'outil industriel, qu'il soit public ou privé. Je dis sérieuses, parce que nous avons consommé l'argent du programme MEDA sans qu'il y ait des résultats concrets en matière de mise à niveau.