Il est des récits qu'on lit d'une traite. Il en est ainsi du deuxième roman de Farid Benyoucef, Le noir te va si mal. Court, précis et poignant jusqu'à la dernière ligne. C'est l'histoire d'un détournement d'avion avec prise d'otages qui “tourne mal”, comme si ça pouvait se passait autrement dans un pays ravagé par un terrorisme dont le but ultime est le chaos. Madame Nafiss Abbash venant des Etats-Unis est fonctionnaire de la Banque mondiale. Elle a choisi de commencer par l'Algérie sa première mission au Maghreb pour le compte de l'institution financière internationale. Elle constitue une belle prise pour le commando ayant détourné un avion et pris en otage les passagers à Houari-Boumediene. Deux heures, c'est le délai donné par les ravisseurs pour avoir au pied de l'avion “le vénéré Abou Zahir”, sans quoi les otages seront exécutés. La cellule de crise instituée à l'occasion pour gérer la situation est dirigée par le commissaire Marwan-Abdelatif, un homme de terrain, qui tentera de négocier la libération des otages. Les terroristes liquident, le délai expiré, l'employée de la Banque mondiale Madame Nafiss Abbash. Les policiers donnent l'assaut et les abattent. C'est ainsi que la profondeur et l'absurde du drame se révèle. Madame Nafiss Abbash n'est autre que Nafissa Bel Mekki, la sœur de Marwan-Abdelatif ! Une erreur du préposé aux passeports de service de la Banque qui a raccourci par mégarde son prénom en l'amputant du “a” de la fin. Mariée à un Palestinien, Walid Abbash, et grosse de quelques mois, elle était venue faire la surprise à sa famille. Le terroriste Abou Hassen ayant ordonné son exécution n'est autre que… son propre frère Khalil Bel Mekki. Après la mort de leur mère, Nafissa était pour lui le sein maternel, la sœur protectrice et la confidente. Parti en Allemagne fuir son pays et suivre des études, il finit, au bout de ses échecs, par être enrôlé dans les réseaux terroristes. Ironie de l'histoire, Khalil, alias Abou Hassen, n'est pas mort. Il lui sera redonné vie grâce au… foie (el kebda) de sa sœur qu'il venait tout juste d'assassiner. Le monde finira de s'écrouler autour de Marwan, lorsqu'il retrouve son père mort, chez lui, à la demeure familiale, sur les hauteurs de Blida. Il se remit alors à penser à Afidata, une prof d'anthropologie à l'Université de Bamako au Mali. Le spectre d'Afidata revient coloniser, “comme à chaque coup de blues”, “les planches du petit théâtre qui dresse ses tréteaux dans la tête” de Marwan. Une sentence de son paternel lui revint à l'esprit : “Reste toujours loyal à la terre qui te nourrit. Ne trahis jamais le pays dont tu as goûté au sel et au sucre et efforce-toi toujours de lui épargner le mal, à défaut de lui faire le moindre bien.” Et c'est ainsi que Marwan décide de partir, “sa façon à lui de ne pas trahir cette terre qui le faisait tant souffrir”. Commence alors pour lui l'errance à travers divers pays de cette Afrique “bénie par des dieux et trahie par ses hommes”. Et c'est ainsi que se termine le roman.Le noir te va si mal est l'histoire dramatique d'une famille détruite au nom d'Allah par la bêtise humaine. C'est aussi la tragédie de toute une nation meurtrie et endeuillée par des déchirures aussi violentes qu'absurdes. L'auteur, Farid Benyoucef, est né en 1951 à Aïn Oulmène, dans la wilaya de Sétif, et vit à Alger où il enseigne l'économie à l'université. On lui compte déjà Il bleut toujours après l'orage un recueil de poèmes publié en 1996 et Le festin du diable paru en 2003.