“C'est la première fois depuis plus de trente ans que je peux faire le plein de gazole au niveau des stations-services sans faire la chaîne pendant des heures. Je n'en crois pas mes yeux. J'ai mis dix minutes pour remplir mon réservoir. C'est une véritable révolution.” Ces propos ont été tenus par un “honnête” automobiliste sexagénaire rencontré dans l'une des nombreuses stations-services de Tlemcen et il a du reste raison de lâcher le mot révolution tant il est vrai que c'était chaque jour un vrai parcours du combattant pour les usagers de la route de pouvoir assurer le plein de carburant. Un autre conducteur propriétaire d'une modeste Renault4 immatriculée dans les années 1960 se désole quand il pense qu'il était obligé de patienter des heures durant pour faire le plein de 300 DA de carburant alors que devant lui, les véhicules légers et lourds des trafiquants pouvaient remplir jusqu'à 5 000 DA d'essence ou de gazole en une seule traite. Cette petite révolution est à mettre au compte de l'opération combinée des services de sécurité (gendarmerie, Sûreté nationale, douanes) qui a permis dernièrement d'immobiliser des centaines de véhicules légers et lourds, dont les réservoirs étaient trafiqués (double et triple fond) pour pouvoir accumuler le maximum de carburant destiné au trafic illicite avec le pays voisin. Depuis, on a perçu au niveau des stations-services du chef-lieu de wilaya une certaine fluidité dans les opérations de distribution de carburant (même les pompistes ont poussé un ouf de soulagement, leur charge de travail ayant diminué), ce qui n'est pas le cas à Maghnia où la pression est encore accentuée en raison de la présence de trafiquants notoires qui ont réussi à échapper aux mailles des services de contrôle routier et continuent à s'approvisionner normalement sans être inquiétés. Certains ont carrément acquis de nouveaux véhicules dont les réservoirs sont bien sûr trafiqués, pour continuer leur basse besogne dictée par le gain facile et rapide au détriment des richesses du pays, surtout qu'une partie du gazole est importée par Sonatrach. Ces mêmes trafiquants sont souvent impliqués dans des accidents de la circulation comme ce fut le cas dernièrement à Ghazaouet où un camion fou a tué sur le coup dix personnes à bord d'un véhicule de transport de voyageurs. Les trafiquants ont tendance à rouler très vite, sans se soucier aucunement des règles du code de la route et notamment de la limitation de vitesse sur les routes et surtout dans les agglomérations, pour aller déverser très vite le précieux liquide au niveau de la frontière contre une source de revenue toujours en hausse, puis refaire le même itinéraire vers les stations-services afin d'augmenter leurs gains. Conséquence de cette situation, au-delà de son aspect illicite et dangereux pour les usagers de la route, les réserves de carburants sont littéralement siphonnées ne laissant que des “miettes” pour les automobilistes et les transports en commun. Au cours de la saison estivale, des touristes étrangers venus passer quelques jours de vacances sur la côte de Marsa Ben M'hidi ont eu toutes les peines du monde pour faire le plein de carburant sacrifiant les moments de farniente au bord de la plage pour les affres d'une chaîne très longue et pénible sous un soleil de plomb. La question qui reste posée est de savoir si cette opération coup-de-poing qui a été à l'origine d'effets dissuasifs immédiats sera renouvelée souvent pour barrer définitivement la route aux trafiquants ou si, au contraire, elle va demeurer isolée, ce qui permettra aux réseaux de se reconstituer en optant pour d'autres véhicules dont les réservoirs seront forcément modifiés pour un apport plus important de carburant à monnayer avec les trafiquants de l'autre bord.