Je pensais qu'à mon âge, les épreuves du temps avaient épuisé en moi toute capacité à pleurer. Et pourtant, en ce triste mardi de septembre, la Faucheuse m'a ramené à la réalité de l'une des plus pénibles épreuves de mon existence. La nouvelle est tombée, à la fois brutale et inattendue : mon ami, mon frère Tahar nous avait quittés prématurément. Comme pour nous accompagner dans notre infinie douleur, le ciel à son tour, gris et sombre ce jour-là, déversait un torrent de pluie comme autant de larmes que versent en ce moment ses proches et ses amis. La grandeur d'un homme n'apparaît parfois que lorsqu'il disparaît. Et c'est souvent alors, et alors seulement, que l'on prend conscience de ce qu'il a été et de ce qu'il nous a apporté. Je me souviens de ce jour de décembre où je débarquais à Schiphol, l'aéroport d'Amsterdam, pour prendre mes fonctions de nouvel ambassadeur d'Algérie au Royaume des Pays-Bas. Parmi ceux qui m'attendaient, je remarquais un homme dont la discrétion et la dignité tranchaient avec les habituelles démonstrations que certains affichent face à un haut responsable : c'était Tahar Maaz qui, en tant que représentant d'Air Algérie, tenait déjà à marquer par sa présence son attachement à tout ce qui représentait l'Algérie. Les semaines et les mois qui suivirent me firent découvrir, sous la fonction d'inspecteur d'Air Algérie, le véritable visage du militant algérien dont l'engagement allait bien au-delà de ses responsabilités à l'égard de la compagnie nationale. En tant que professionnel, et bien qu'il n'y ait plus de ligne directe Alger-Amsterdam, Tahar a su valoriser Air Algérie et assurer à la compagnie nationale des rentrées financières substantielles. En plus du fret qu'il s'ingéniait à trouver, son bureau recevait chaque jour des passagers qui venaient acheter des billets pour le vol Bruxelles-Alger : pour ces clients, souvent coléreux et caractériels, Tahar savait trouver les mots pour rassurer, régler leurs problèmes et les renvoyer satisfaits. Au point que je me demandais parfois qui de lui ou de moi avait le plus de talent dans le difficile exercice de la diplomatie. Par-delà le respect que lui vouaient tous ses collègues des autres compagnies aériennes, respect dû à sa courtoisie, son caractère affable et son indiscutable compétence, Tahar Maaz a surtout fait preuve d'un talent remarquable chaque fois qu'il s'agissait de l'intérêt national et de l'image de marque de l'Algérie. Par devoir d'honnêteté, je me dois de témoigner des services considérables qu'il a rendus à l'ambassade pendant la difficile période où la nébuleuse terroriste usait et abusait des lois libérales des Pays-Bas pour faire de ce pays un lieu de transit sûr, voire de refuge, autant que des médias pour ternir l'image de marque de notre pays. La communauté algérienne aux Pays-Bas se souviendra certainement de la manière magistrale avec laquelle Tahar a contraint cet officier félon et déserteur, auteur présumé de ce torchon intitulé Qui tue qui, à fuir, dans la honte et l'humiliation, alors qu'il tentait de présenter à Amsterdam ce qu'il prétendait avoir écrit. Chaque fois que l'Algérie, son gouvernement, son armée, ses services de sécurité, en un mot son peuple, étaient dénigrés, Tahar Maaz était là, présent et toujours disponible auprès de mon ambassade, mobilisant ses amis algériens et néerlandais pour faire barrage à la désinformation et à la diffamation. Cet homme si affable, si humain, devenait un véritable guerrier pour mobiliser l'opinion et dénoncer l'horreur du massacre des intellectuels et des journalistes algériens victimes d'un terrorisme aussi aveugle que barbare. Je me dois à la vérité d'affirmer que c'est bien grâce à lui que j'ai pu, et certainement que d'autres ambassadeurs qui m'ont précédé aussi, nouer des liens directs avec les membres de notre communauté et être constamment à l'écoute de leurs préoccupations. Faut-il souligner que cet homme d'exception avait un immense réseau d'amis algériens et néerlandais, qui, en raison de sa gentillesse et de la sympathie spontanée qu'il suscitait, respectaient et recherchaient son amitié. Faut-il souligner aussi que, malgré les divergences de fond que l'on sait sur un problème politique, nombreux étaient des membres de la communauté marocaine qui lui ont témoigné confiance et amitié et qui aujourd'hui partagent notre deuil. Il faudrait tout un livre pour faire connaître tout ce que Tahar Maaz a fait au service de son pays, l'Algérie. Mais je me dois, aussi et surtout, de souligner dans cet hommage que toute son action a été faite dans la discrétion et le refus de toute reconnaissance publique en retour. Il me répétait que son action était un devoir et une obligation morale dictés par sa seule conscience :“la choukr'ala wajib”, se plaisait-il à me répéter. D'Amsterdam ou de Paris, d'Agadir ou de Bangkok, de Montréal et d'ailleurs, les expressions de douleur et de sympathie pour son épouse et sa fille ne cessent d'affluer vers Alger et Mostaganem. T. M. * Ex-ambassadeur d'Algérie aux Pays-Bas