Le chef de l'Etat offre un cadeau empoisonné à son Premier ministre. Si Ouyahia réussit, le Président en tirera les dividendes ; en cas d'échec, il s'en lavera les mains. À la tête du gouvernement, Ahmed Ouyahia doit certainement regretter l'ère de “papy” Zéroual. L'Algérie traversait les pires moments de son existence. Mais la cohabitation était plutôt tranquille entre les deux pôles de l'Exécutif. L'entente parfaite. Entre le chef de l'Etat et son Premier ministre, il n'y avait pas de compétition. Et conséquemment, ni coups tordus, ni entourloupes, ni chausse-trappe. Chacun avait son lot de prérogatives. Ouyahia s'attachait à exercer les siennes avec un certain zèle sans la prétention de vouloir doubler celui qui venait de booster sa carrière politique. Et Zéroual lui accordait sa confiance malgré l'omniprésence du général Betchine qui pouvait troubler cette entente. Une entente qui n'a plus cours dans les travées d'institutions dont la vie est aujourd'hui rythmée par les intrigues et les pièges. Comme celui que vient de poser le président Bouteflika à Ahmed Ouyahia qui cheminait vers la rencontre des délégués du mouvement citoyen, né en Kabylie. Ahmed Ouyahia a déployé tout son art d'ancien diplomate ayant réglé des conflits guerriers pour tenter de convaincre les archs de la sincérité de ses intentions. Il s'est prononcé pour un dialogue sans tabou, ni préjugé. Un dialogue dénué d'arrière-pensées politiques, sans rapport avec l'activité partisane et avec quelque rendez-vous électoral que ce soit. Ouyahia s'est privé de jugements négatifs sur la plate-forme d'El-Kseur pour ne pas conduire à une cristallisation des positions. Son offre, d'abord passablement accueillie, a fini par être rejetée par des délégués qui ont souhaité des engagements du président de la République sur la mise en œuvre de leur document de référence. Le voilà qu'il intervient avec une proposition de “contre-dialogue” qui lamine tous les efforts du Chef du gouvernement à trouver une issue à la crise. Le président de la République s'autorise des jugements qui claquent comme des accusations, rendant le mouvement citoyen suspect de revendications attentatoires à l'unité au peuple algérien. Ouyahia est donc enjoint par le président de la République de poursuivre le dialogue dans ce climat. Lui qui s'est prudemment gardé de tout préjugé est chargé de débusquer dans la plate-forme d'El-Kseur les atteintes à l'unité du peuple. En réalité, l'injonction de Bouteflika est une manière d'imputer à son Chef de gouvernement un échec programmé. Son prédécesseur avait déjà fait les frais de ce jeu perfide. Ali Benflis avait été contraint de conduire un simulacre de dialogue avec de faux représentants, tout en étant persuadé de son échec prévisible. M. Benflis étant encore au service de Bouteflika, mais le rapport de confiance entre les deux hommes commençait à s'ébrécher. L'ex-Chef de gouvernement avait hérité du dossier de la Kabylie au moment où il venait d'être porté à la tête du FLN. Sa promotion avait, pour une fois, rendu le FLN fréquentable en Kabylie. Ancien avocat de militants du Mouvement culturel berbère et des droits de l'Homme, Benflis devenait le premier dirigeant du FLN à jouir d'un préjugé favorable en Kabylie, où le Président est honni. Il a fallu donc casser cette image. Un commando présidentiel, conduit par le conseiller Rachid Aïssat, s'était alors rendu en Kabylie pour dénicher des délégués complaisants, Benflis était ensuite sommé de leur donner la réplique. Le défenseur des causes justes s'était aussi montré dans le rôle d'un usurpateur conspirant avec un faussaire. Relégué au rang d'interlocuteur de Salim Allilouche, M. Benflis ne pouvait que se déconsidérer. Le piège s'est refermé, mais Bouteflika ne se lasse pas de miner le terrain. La Kabylie lui ayant définitivement échappé, il faut désormais neutraliser son rôle. Il semble vouloir l'amener vers une dissidence électorale afin que le vote kabyle ne soit pas capté par un autre candidat. À l'heure des comptes finaux, ce sont quelques millions de voix qui pèseront lourd. R. B.