Dans un village reculé de Kabylie vivait un couple qui avait eu deux garçons. Aomar, l'aîné, était laid, râleur et grincheux. Hacène, le plus jeune, était beau, délicat et tendre. Secrètement, la maman avait une préférence pour ce dernier. Aomar s'en aperçut. Il se mit à nourrir une jalousie dévorante envers son frère, le passant à tabac, l'humiliant et lui piquant sa nourriture. Conciliant, Hacène supportait tout, sans se plaindre. Les années passèrent. Les deux garçons étaient devenus des adolescents. Dès l'aube, ils prenaient la direction de la montagne avec leur troupeau de moutons, chèvres et brebis. Cheveux soyeux, teint frais, yeux verts, Hacène était devenu un beau jeune homme. Sa maman n'avait d'yeux que pour lui. Cela attisait la jalousie d'Aomar. Un jour d'orage, il décida de passer à l'acte. Alors que son frère était au bord d'un rocher, il le poussa violemment au fond du ravin, puis descendit couvrir le cadavre de grosses pierres. En rentrant à la maison, il simula l'affolement et annonça que son frère s'était égaré dans la montagne. Les villageois organisèrent une battue mais aucune trace de Hacène ! Quelques jours plus tard, sa mère mourut de chagrin. Quant à son père, il devint aveugle à force de pleurer. Aomar n'éprouva aucun remords. Ses traits durcirent, faisant fuir même les enfants du village. Les années s'égrenèrent. Les pluies déterrant les os du pauvre Hacène et le vent les dispersa. Seul subsista l'os de son avant-bras que le soleil blanchit. Un jour, un berger qui s'était aventuré dans ce ravin à la poursuite de l'une de ses chèvres tomba sur l'os, le ramena et en fabriqua une flûte. À peine le porta-t-il à ses lèvres qu'une voix claire et limpide s'en échappa, entonnant ce refrain : “Ô berger, pourquoi me réveiller ? Depuis dix ans je dormais. Mon frère Aomar m'a poussé du haut d'un rocher, dans le précipice. La terre éboulée a recouvert mon corps.” Consterné, le berger courut jusqu'à la djemaâ du village pour faire entendre l'étrange complainte. Aomar, qui passait par là, reconnut la voix de son frère. Craignant d'être démasqué, il s'enfuit comme un voleur et ne remit plus jamais les pieds au village. Nadia Arezki [email protected]