Bouteflika est sûr d'avoir perdu le soutien de ses anciens parrains. Benflis n'est pas encore assuré de pouvoir tous les récupérer. L'armée observe. L'armée n'aura pas son candidat à la prochaine élection présidentielle. Ce n'est pas un serment. C'est juste une promesse de son chef d'état-major. Mais, en politique, les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Et celle du général Lamari a été accueillie par quelques ricanements. Et si c'était cultiver trop de méfiance à l'égard d'une armée qui, sans battre sa coulpe, a fini par admettre une erreur de jugement sur le choix de 1999 ? “Vendu” comme un candidat de droit divin, Abdelaziz Bouteflika est aujourd'hui relégué au rang du “candidat le moins mauvais”. Sans être brutale, la rupture est ainsi prononcée. Bouteflika sait désormais que, pour obtenir un second mandat, il n'aura pas le quitus de tous ses anciens parrains. Il le sait si bien qu'il est déjà parti en campagne. Le Chef du gouvernement aura beau demander à ses ministres une part de discernement entre leurs fonctions officielles et leurs activités partisanes, c'est bien le président de la République qui leur montre la voie. Personne mieux que lui n'excelle dans la confusion des rôles. Si l'Algérie des paresseux et des médiocres l'attire en ces jours caniculaires, c'est bien pour y faire son souk de voix dans la perspective du prochain scrutin. Bouteflika est soucieux de prendre de vitesse des adversaires encore non déclarés. En comparaison avec 1999, le contraste est saisissant. Il était alors le dernier à se déclarer et à partir pour une campagne électorale dont il aurait d'ailleurs pu se passer, tant il était assuré de l'issue du scrutin. Qu'importait son projet du fait qu'il avait le soutien de l'ANP. “Que m'importe si de dix citoyens, neuf me haïssent, si le dixième m'aime et s'il est armé.” C'est en ces termes que répondait Olivier Cromwell à un de ses amis venu le mettre en garde contre ses abus de pouvoir et lui demander de faire amende honorable devant le peuple anglais qui le haïssait. C'était sous la République bourgeoise du XVIIe siècle. Le Lord Protector finissait mal son règne. Fort du soutien de l'armée, qui lui avait mobilisé la société civile et un large spectre de la classe politique, Bouteflika n'avait donc pas besoin de se battre. Si notre Protector se lance aujourd'hui dans le combat, c'est bien sûr à cause de ce précieux soutien qui lui fait défaut. Mais pas seulement. Il est convaincu que la hiérarchie militaire n'a pas encore fait son choix d'un autre postulant. Par ailleurs, pour avoir eu Ali Benflis comme directeur de campagne en 1999, il n'ignore pas la popularité dont jouit son ex-dauphin dans les rangs de l'ANP, où même l'actuel Chef du gouvernement Ahmed Ouyahia bénéficie de certaines sympathies. Nourri à la culture du sérail, Bouteflika sait que l'un et l'autre ne se jetteraient pas dans la bataille sans la caution militaire. “C'est pour cela qu'il fait de la période estivale une phase décisive afin de forcer la main à l'ANP ou d'amener les autres à décrocher”, analyse un observateur politique. “L'ANP semble observer avec beaucoup d'intérêt cette phase. Elle semble vouloir tester les capacités de Bouteflika et de Benflis à se battre sur le terrain politique comme le font les dirigeants de l'opposition. Elle semble aussi vouloir favoriser le débat”, ajoute cet observateur. Pourtant, le débat ne se fait pas que sur le terrain politique. Les raids menés contre les instances du FLN issues du dernier congrès en sont la preuve. Les partisans de Bouteflika vont-ils persévérer dans cette voie qui risque de se révéler suicidaire ? En tous les cas, si l'administration est soumise à ses seuls désirs, il risque de se retrouver seul candidat. Evidemment, il ne dédaignera pas cette situation vécue en 1999. Mais l'Algérie pourra-t-elle se payer le luxe de ce scénario invraisemblable, avec tous les désastres qu'il risque d'engendrer. Ce que semble avoir anticipé l'ex-ambassadrice des Etats-Unis en rendant une visite de courtoisie à Ali Benflis, suivie de l'envoi d'un émissaire à la mouhafadha de Blida. C'est là que la promesse de Lamari sera mise à l'épreuve. Le scénario idéal apparent, c'est celui d'un scrutin à plusieurs candidats et à deux tours. L'ANP saura-t-elle rester neutre lors de cet instant suprême qui engagera l'avenir de l'Algérie pour 5 ans ? Pour être un militaire, le général Lamari sait que la décision est définie dans les études de stratégie comme un acte “simple et manichéen”. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, dit-on souvent dans ce pays. R. B.