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Des “novembristes” d'ighil imoula se souviennent
Au cœur du déclenchement de la révolution
Publié dans Liberté le 01 - 11 - 2009

Comme tous les villages de Haute-Kabylie, Ighil Imoula, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Tizi Ouzou, est accroché au sommet d'une montagne et ses maisons, bien que modernisées, gardent cette empreinte ancestrale car elles sont serrées les unes aux autres, comme les décrivait Mouloud Feraoun. Pour y accéder, il faut suivre une route sinueuse d'environ trois à quatre kilomètres à partir du “rond-point”, ou l'intersection avec la RN30 vers le chef-lieu de commune Tizi n'Tléta sur la route des Ouadhias. L'histoire du village héroïque commence là.
Feu Ali Zamoum arborant un burnous blanc et Matoub Lounès un autre rebelle veillent sur cette région, peints sur un tableau que leur a dédié l'association Tagmats présidée par Dalil Makhloufi, un jeune Algérien originaire de Frikat résidant à Lyon, et par le mouvement citoyen. Non loin de là, l'ami de Kateb Yacine repose en paix dans sa tombe au carré des Martyrs. À notre arrivée, nous avons été reçus par les membres du comité d'organisation de la célébration du 55e anniversaire du déclenchement de la Révolution. Des citoyens s'affairaient à restaurer ce monument dédié aux martyrs.
Accompagné d'un villageois, nous avons revisité ce village historique où a été imprimé “l'appel du 1er Novembre”. Arrivés à “Tizi”, la place du village qui n'a rien perdu de son originalité, nous visitons la pièce où a été ronéotypé cet appel aujourd'hui érigé en stèle. Cette maison couverte de tuiles anciennes a été restaurée et témoigne d'une époque. Elle est encore là sans la fameuse ronéo qui avait servi à imprimer le document de base ayant appelé à l'insurrection.
Des jeunes mobilisés pour commémorer cet événement apportaient quelques petites touches de peinture. Nous pûmes lire l'appel gravé en marbre dans les trois langues : amazigh, arabe et française. “La ronéo a été déplacée au Musée national du moudjahid à Alger”, nous répondit un jeune. Ighil Imoula, comme d'autres douars, n'avait pas abdiqué aux exactions de l'armée coloniale. feu Ali Zamoum et son frère Mohamed Zamoum, le futur colonel si Salah, et quelques militants issus du mouvement national avaient décidé de déclencher la révolution à partir de ce petit patelin que l'occupant a voulu amadouer en posant quelques poteaux électriques en 1930 et en construisant la première école du village en 1887 devenue aujourd'hui Maison de jeunes.
Et dire qu'Ali Zamoum n'est plus de ce monde !
L'un des membres du comité d'organisation, Saâd Belkacem, nous apprend qu'un programme est déjà arrêté pour commémorer cet anniversaire. Pour lui, cette célébration est d'une portée pédagogique appelée à inculquer aux futures générations les principes et les valeurs pour lesquelles leurs aînés se sont sacrifiés. “J'étais à peine âgé de huit ans en 1954. Mais je garde encore ce souvenir d'enfance. Chaque jour se tenait devant l'épicerie du coin une tombola où le gagnant avait droit à un paquet de biscuits. Mais ce jour-là, le nombre d'organisateurs de la tombola s'était multiplié et chacun d'eux criait à tue-tête. J'étais alors étonné. Ce n'est qu'à l'indépendance que j'ai appris que ce brouhaha était provoqué pour camoufler le bruit de la ronéo”, témoigne notre interlocuteur. Invité à nous livrer d'autres souvenirs sur cette page d'histoire, ce dernier appela deux survivants parmi les treize militants qui avaient participé à des actes contre les intérêts des colons à Tizi n'Tléta.
Il s'agit des moudjahidine de la première heure, à savoir Benchabane Mohand Akli et Kacer Mouloud. Nos deux hôtes nous livrèrent leurs secrets l'un après l'autre. C'est da l'Mouloud qui commença par nous faire revivre la période d'avant le déclenchement de la guerre. “Nous étions tous des militants du MTLD, mais après la scission du PPA/MTLD, nous étions désignés à rejoindre le CRUA”, se rappelle-t-il. En voulant savoir s'ils étaient au courant du déclenchement de la lutte armée, il nous répondit : “Bien sûr, mais personne ne savait encore le jour exact. Trois mois avant le 1er novembre, nous étions répartis en groupes de quatre dont un dirigeait les trois autres. On commençait à avoir une petite formation paramilitaire à Azaghar. On fabriquait de petits engins explosifs avec des morceaux de ferraille que nous allions ramasser dans les marchés.” Quelques instants après, notre interlocuteur éclata en pleurs. “Da Ali Zamoum nous manque beaucoup. Il était très courageux. Rien ne comptait pour lui sinon la libération du pays du joug colonial. Même lorsque nous nous dirigions au tribunal militaire après les événements du 1er Novembre pour être jugés, il nous disait de tout mettre sur son dos, car il savait qu'il allait être condamné à mort”, poursuivit-il.
Da l'Mouloud se souvient de tout, mais il laisse la parole à son camarade da Mohand Akli Benchabane pour nous relater en détails tout ce qui avait précédé la diffusion du tract du 1er Novembre 1954.
L'histoire de la valise qui contenait les tracts de la Révolution
Mohand Akli Benchabane était justement désigné pour acheminer clandestinement la valise qui contenait les tracts de la Révolution.
Encore vivant de nos jours, Da Mohand nous relate les faits.“Le journaliste Laïchaoui Mohamed qui devait rédiger le texte était accompagné jusqu'à Tizi Ouzou par Ouamrane. À partir de là, da Ali Ali Zamoum et Mohammedi Saâd, un autre militant, lui tinrent compagnie jusqu'à Ighil Imoula en traversant Souk El-Ténine, Mâatkas puis Ath Abdelmoumène. Ils passèrent par la maison de Hocine Slimane. Halliche Hocine et da Ali entouraient cette affaire d'un grand secret. Dans la nuit, ils accompagnèrent Laïchaoui au lieu où devait être tirée la proclamation du 1er Novembre chez Benramdani Omar.”
Da Mohand Akli s'arrête pour nous rappeler les faits avec exactitude. “Da Ali demandait à Laïchaoui de reproduire fidèlement le brouillon. Butant contre un mot mal orthographié, Laïchaoui voulait le corriger, mais da Ali refusa. Il alla voir Krim Belkacem à Ath Abdelmoumène qui lui donna alors son accord pour la correction.”
Toute la nuit, en l'absence de da Ali, ajouta-t-il, nous tirâmes des milliers d'exemplaires avec la ronéo alors que dans l'épicerie d'Idir Rabah en présence d'Idir Amar, il y avait un grand bruit pour éviter l'attention du garde-champêtre. “Quand da Ali revint, il était environ trois heures du matin.
Tous les exemplaires étaient rangés dans une grande valise. Il me chargea alors de transporter la valise jusqu'à Belcourt pour la remettre à un gérant de café et déposer une lettre fermée derrière le siège du chauffeur. J'avais pris le car à onze heures ici même à Tizi n'Tléta. C'était une compagnie de transport privée. Arrivé à Alger sans problème, je descendis à El Djenina et pris un taxi en direction du lieu indiqué.
Il était 19h. Le cafetier allait fermer car le rideau était à moitié descendu. Je l'interpellai du nom que da Ali m'avait donné. Il prit la valise. Et au retour, je repris environ un millier d'exemplaires et rejoignis le village. Mission accomplie.” L'heure du déclenchement avait sonné !
Poteaux sciés, un garde champêtre blessé : la guerre a commencé
Nos deux hôtes nous parlèrent des journées qui précédèrent le jour J. “Da Ali nous regroupa et nous donna quelques consignes au sujet de la préparation. Nous eûmes plusieurs rencontres au lieu-dit Azaghar et plus précisément à Azagur Abakli. Les objectifs à atteindre furent précisés : incendier les documents du centre municipal de Tizi n'Tléta, s'emparer de la dactylographie, attaquer la pharmacie des Ouadhias et bien sûr couper toute communication en sciant les poteaux téléphoniques”, précisa da l'Mouloud.
Pour nos deux interlocuteurs, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, ils étaient 18 jeunes hommes, tous d'Ighil Imoula, chargés de s'attaquer à ces trois cibles alors que 6 autres étaient désignés pour aller à Blida prêter main-forte au groupe de la Mitidja.
Par devoir de mémoire, da Mohand Akli égrène cette liste : “Ali Zamoum, Kacer Mouloud, Lounas Amar, Dris Ahmed, Larbani Ahmed, Idir Rabah, Halliche Hocine, Mohammedi Saâd, Si Yahia Mohand Ouali, Benchabane Mohand Akli et bien d'autres, et je m'excuse si j'ai oublié quelqu'un.” Son compagnon l'interrompit pour ajouter que Zamoum Mohamed, le futur colonel si Salah, était à Dellys.
Durant cette nuit à zéro heure, ce groupe visa les objectifs suivants : tous les poteaux téléphoniques sciés, la tentative d'incendier les documents du centre municipal avortée, feu Ali Zamoum blessa le garde champêtre qui était de garde. “Nous disparûmes dans la nature”, l'interrompit da l'Mouloud.
Depuis ce jour-là, le village d'Ighil Imoula était dans l'œil du cyclone et toute la population fut recensée. Personne ne quitta le village sans autorisation. En dépit de tout l'arsenal militaire mis en place par l'armée coloniale, la population d'Ighil Imoula fut à côté de ses hommes jusqu'à l'indépendance du pays.
On nous dit que les martyrs commencèrent à tomber au champ d'honneur. Ils parlent de Tabet Ahmed, Tabet Chabane, Hallil Ahmed, Achour Ali ben Mohamed, et la liste est longue.
Aujourd'hui, on peut dire que ce village est l'un des plus organisés de Kabylie. Et tout le monde regrette que feu Ali Zamoum, homme juste, épris de valeurs démocratiques, père des orphelins et fondateur de l'association Tagmats ne soit pas là pour célébrer avec son peuple le 55e anniversaire du déclenchement de la glorieuse révolution. “Avant que la première condamnation ne tombe sur ses épaules, da Ali avait répondu au juge : j'accepterai tout, tout, tout et tout, mais pas une seule chose, le chef d'accusation portant “association de malfaiteurs”. Je ne suis qu'un combattant de la lutte de Libération nationale et je ne suis pas un terroriste.”
C'était en 1955, conclut l'un des deux témoins. Nous quittâmes Ighil Imoula, village encore sensible aux valeurs humaines et révolutionnaires et qui tient encore à garder son image d'authenticité, comme nous le révèle sur le chemin du retour cette plaque fortement significative : “Ne touche pas à la propreté de mon village.”
O. G.


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