Celui qui aura marché le long des routes ou des sentiers de montagnes de l'Aurès aura certainement constaté les stèles érigées un peu partout, pour “la mémoire contre l'amnésie”, témoignant encore de l'histoire d'un peuple qui avait refusé la politique colonialiste avec son cortège de racisme et de misère noire… ainsi, 57 années après le déclenchement de la Révolution, les mémoires encore en vie se souviennent et racontent la Toussaint rouge, le 1er Novembre 1954, date de l'histoire du présent et du futur de l'Algérie. Âgé de 90 ans, Laroussi Messaoud, un moudjahid de longue date du douar Ich'Moul, un militant des années 1948, un acteur de la nuit du 31 octobre 1954 à la maison des Benchaïba, un moudjahid qui a rejoint les rangs de l'ALN en 1955 et ayant effectué, à deux reprises, le voyage en Tunisie, parle de cette période de l'activité politique et des préparatifs du 1er Novembre 1954. “Chaque année, dans les cellules politiques de la région, nous recevions au mois d'octobre la visite des personnalités politiques à savoir Lakhdar Bentobal, Rabah Bitat, Mohamed Boussana qui nous expliquaient les grands axes du parti et le devoir d'inciter la population à adhérer à la Révolution”. Abordant les cotisations, notre interlocuteur nous apprend qu'à l'époque, tous les adhérents et les militants du parti s'acquittaient chaque mois ou trois mois de leurs cotisations (ich'tirakat) mensuelles ou trimestrielles. “Les cotisations étaient de 4 douros (200 francs) à 10 douros (500 francs) selon les conditions sociales de chaque personne et à défaut le contenu d'un roubbaï de blé (unité de mesure) pour ceux qui n'avaient pas de liquide”, nous révèle-t-il. “Ces sommes d'argent collectées, poursuit-il, étaient destinées à l'acquisition des armes”. Tous les témoignages abondent dans le sens que la plupart des jeunes gens en âge de porter une arme, étaient déjà mobilisés et préparés à gagner le maquis pour faire entendre raison à l'autorité coloniale. Les casemates, grottes étaient creusées dans les flancs de la falaise qui domine l'oued et à l'intérieur des maisons pour servir de caches d'armes ou de munitions et même abriter les combattants. “Gagnés par l'idée de s'armer, les gens de la région d'Ich'Moul et de Zalato vendaient, à l'époque, même leurs animaux et leurs biens pour acheter des armes et des munitions. Deux ans avant l'insurrection, en 1952, Si Mostefa Benboulaïd avait pris la décision d'interdire le baroud dans les fêtes pour conserver les munitions”, se rappelle Athamena Mohamed. “Comme je viens de dire, raconte-t-il, les habitants avaient déjà leurs propres armes de guerre, en plus de celles ramenées par Smaïhi M'barek, un vendeur d'armes d'Oued Souf et ce maigre dépôt existant en 1954 provient des caches de l'OS (1947) et ce stock des Aurès, qui était le plus fourni à l'époque et qui avait échappé aux investigations policières”. Ce lot d'armes, notre interlocuteur l'évalue à 350 armes de guerre italiennes. En cette période, les habitants s'approvisionnaient en achat de tenues militaires, de chaussures pataugas, de chaussettes et de gourdes d'eau. Tout était préparé minutieusement dans la discrétion totale. Parlant des préparations avant le jour de l'insurrection, le moudjahid Athamena Mohamed, un héros de la Révolution de libération dit : “Elles s'étaient intensifiées les 26, 27, 28 octobre 1954 (...) Environ 350 combattants divisés en groupe de 11 et 12 personnes avaient été chargées de missions différentes par le commandement. Le mercredi, 27 octobre 1954 des groupes avaient pris la direction de Biskra (27 octobre) et de Khenchela. Le samedi 30 octobre, un autre groupe se dirigea sur Batna, wilaya de Batna. Le 31 octobre, un autre groupe prit la direction des mines d'Ich'Moul. Bref, les groupes, chargés de différentes missions, prirent leur direction. La nuit du lundi, premier novembre 1954, d'autres groupes furent chargés de s'attaquer à des casernes pour récupérer des armes, des moyens de liaison et de communication, et d'accomplir des actes de sabotage des ponts de Boulakouas, de Bacha, d'El-Hajaj. Des groupes se dirigèrent à Foum-Toub, à M'chounèche, à Batna et autres régions de la Wilaya I.” À l'époque pour l'acte de sabotage du pont Boulakouas, il avait été fait appel à des travailleurs des mines à l'image de Soualhi Mohamed (Mohamed Oulouahma) spécialiste dans les explosifs. Malheureusement cette nuit-là, un seul bâton de dynamite a explosé et a détruit un seul pilier sans nuire à l'ouvrage tout entier. Egalement l'attaque de la caserne de la ville de Batna et des colons du village de Lutaud et d'autres n'ont pas eu lieu pour moult raisons dont la principale était l'arrivée de certains membres du commando en retard sur les lieux. Pour l'attaque de l'administrateur Rey de la commune mixte d'Arris, qui n'a pas aussi eu lieu, Laggoune Ammar, membre du groupe de Lasfar, présent à la discussion, raconte : “Cette nuit-là, notre groupe de Lasfar – constitué de 7 membres, moi Belaggoune Messaoud (le responsable) avec Beldi Mohamed Ben Ali, Marifi Hocine Ben Brahim, Bellil Belkacem, Benboulaïd Omar, Benboulaïd Mohamed- avait reçu les instructions du commandement de nous positionner dans la forêt et de n'intervenir qu'au premier coup de feu entendu pour porter assistance au groupe de Si Ahmed Nouaour de Draâ Zitoune, chargé d'attaquer l'administrateur Rey de la commune mixte d'Arris. Malheureusement, ce coup de feu ne fut pas tiré parce que, selon la version de certains membres du groupe, quatre membres du commando n'étaient pas au rendez-vous et le groupe avait pris la décision d'annuler l'attaque pour éviter les pertes.” En réaction, l'armée française, trois jours après le jour de l'insurrection, a engagé une répression féroce contre les civils pour éradiquer les “rebelles”. Des arrestations dans le cadre de rafles massives, d'assignations à résidence, d'internements dans des camps, de tortures, du quadrillage du territoire en fonction d'hostilités, des frontières très surveillées, des zones interdites, des regroupements, du contrôle systématique des civils, des opérations de police, du maintien de l'ordre, des interpellations, des répressions militaires croissantes avec les pratiques des représailles collectives, des rafles et des exécutions sommaires, toutes les bestialités humaines ont été commises sur des populations civiles sans défense. Même des avions et des hélicoptères ont survolé à basse altitude dechras, douars et villages pour impressionner leurs habitants et ont bombardé quelques régions éparses soupçonnées de refuges des combattants à savoir Ich'moul, Inoughissen, El-Hammam, El-Hora (T'kout), selon les témoignages des moudjahidines Athamena Mohamed et Belaggoune Messaoud. Après le jour de l'insurrection, plusieurs accrochages et combats ont opposé les combattants de l'armée française dans un périmètre délimité par les villes de Batna, Arris et Foum-Toub. Le premier blessé, le 8 novembre1954 était Naji Nejjaoui à Khangat Maâch (sud-ouest de Foum-Toub). Le vendredi, 25 novembre 2009, Gilles commandant la 25e division aéroportée et le colonel Ducrurnau, commandant la 18e RCP avaient déclenché l'opération n°3 la plus grande qu'ait connue l'Aurès depuis le 1er novembre. L'objectif était le nettoyage du Djebel Chelia “sanctuaire des bandits de l'Aurès”. Cette opération de nettoyage aux couleurs criminelles comme les précédentes et celles qui ont suivi, ont connu l'échec et le grand feu purificateur du sacrilège colonial a continué de brûler jusqu'à l'Indépendance. B. B.