Il est des jours mémorables dont peu d'Algériens ignorent la signification et la valeur. Ils sont inscrits sur les tablettes de l'Histoire et constituent des références lumineuses pour les nouvelles générations. Tout peuple a besoin de telles balises pour avancer et s'orienter dans sa marche. Comme pour les êtres, de tels moments infléchissent le cours d'un destin, engagent sur un autre sentier. Le pays célèbre toujours le double anniversaire du 20 Août avec ferveur et recueillement. Ce n'est pas un jour banal dans le calendrier. Plus d'un demi-siècle plus tard, la mémoire n'est pas oublieuse et entretient la flamme du souvenir des hommes qui se sont sacrifiés pour que les Algériens retrouvent liberté et dignité. En 1955, le feu de la révolution n'avait pas pris partout. Une terrible pression s'exerçait surtout sur l'Aurès. C'est pour desserrer cet étau que Zirout Youssef, successeur de Didouche Mourad le premier responsable de la wilaya II décida d'une action d'éclat. En compagnie de ses compagnons comme Bentobbal, Boubnider et Kafi, il fit sortir les masses dans la rue. D'aucuns vont critiquer ce procédé qui équivaut selon eux à un suicide collectif. Faut-il aussi remettre en cause la grève des huit jours qui en janvier 57 allait aboutir au démantèlement du FLN à Alger. Ce genre de détails revient aux historiens car dans le feu de l'action, l'unique objectif était de pousser les Algériens écrasés sous le joug du colonialisme à se révolter. En se portant au secours des maquisards des Aurès confrontés aux hommes du colonel Ducourneau, la mobilisation populaire a permis aussi de donner un nouveau souffle à la révolution. Face au manque d'armes et de munitions, au risque de démobilisation le recours au peuple était l'ultime solution pour secouer les consciences. La terrible répression qui s'ensuivit dans des villes comme Skikda, Ain Abid rappela la tragédie du 8 Mai 1945. Ce fut aussi un moment de rupture. Les Algériens étaient sommés de se déterminer. Il n'y avait plus de place pour l'émergence d'une troisième voie regroupant des modérés prêts à un modus vivendi avec les gros colons. Un fossé et une rivière de sang séparaient les deux communautés. Le choix de la date du 20 Août n'était pas fortuit. Il coïncide avec la déposition du roi du Maroc Mohamed V pour déclencher l'offensive du nord-Constantinois témoignait de l'attachement à l'idéal maghrébin, rêve de toute une génération. LE FLN, SEUL INTERLOCUTEUR DE LA FRANCE Une année plus tard, le contexte était un peu différent. Les maquis restaient toujours asphyxiés. La délégation extérieure ne faisait pas encore parvenir des armes. La Kabylie et Alger qui allaient supporter le poids de la guerre ne s'étaient pas encore enflammés. Les Aurès vont sombrer dans l'anarchie, au point que le congrès de la Soummam allait dépêcher Amirouche pour y rétablir l'ordre. Krim Belkacem s'occupait à récupérer des armes et assurer des réseaux de soutien aux moudjahidine. Il y a eu surtout l'émergence d'un homme, Abane Ramdane qui, avec une équipe d'intellectuels comme Ouzegane et Lebjaoui, allaient doter le FLN d'une plateforme politique. Dès qu'il rejoint la capitale au début 55, l'homme allait concentrer ses efforts pour rallier toutes les tendances du nationalisme algérien à la lutte et regrouper sous la même bannière l'élite politique. Le FLN allait s'imposer comme le seul interlocuteur de la France pour négocier. On doit à Abane le «ralliement» de Ferhat Abbas et l'émergence des formes de lutte politiques qui mobiliseront les étudiants, les syndicalistes. Le militaire était au service d'une vision politique qui situe les prérogatives et les responsabilités de chacun. La France n'avait plus affaire à des «fellagas» à réduire par la force mais à un mouvement doté d'une vision politique. Le 20 Août 1956, dans un petit village adossé au flanc sud du Djurdjura, Ifri, la révolution s'est organisée. Elle s'est dotée d'une direction exécutive, le CCE, composée de cinq membres et d'une instance délibérante, le CNRA. Les participants ont esquissé les contours de l'Algérie indépendante qui serait une république sociale et non une théocratie qui mènerait une guerre de religion. Des témoins directs de ces événements comme Ali Kafi, Lebjaoui, Yacef Saadi, Abdelhafid Amokrane ont livré leurs souvenirs. Cette période de l'histoire de la guerre d'indépendance continue de susciter intérêt et curiosité. La dernière preuve a été fournie par le succès de librairie du récent livre du secrétaire du colonel Amirouche. Cela s'explique surtout par la résonance des débats sur la scène actuelle et de l'attachement des Algériens à l'une des périodes les plus exaltantes de leur passé.