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Paradis fiscaux : “Touchés mais pas coulés”
AVIS D'EXPERT
Publié dans Liberté le 02 - 11 - 2009

Selon l'OCDE, un paradis fiscal est un pays ou un territoire caractérisé par les éléments suivants :
- une fiscalité faible (symbolique) ou inexistante
-la pratique du secret bancaire ;
- le refus absolu de pratiquer l'échange d'information avec les Etats qui lui en font la demande pour leurs résidents qui dissimulent leurs revenus ;
- l'accueil de non-résidents qui n'exercent pas d'activité économique (ex : boîte à lettres).
Les paradis fiscaux sont accusés d'avoir accueilli des produits dérivés complexes et ainsi d'avoir nourri les bulles spéculatives et donc alimenté et amplifié la crise financière («Haro sur les paradis fiscaux», le Monde, 25 mars 2009, p.17-20). En effet, une grande partie des produits toxiques étaient logés dans des structures opaques domiciliées dans des paradis fiscaux. Il apparaît, depuis la crise financière, que les Etats ont désormais une réelle volonté politique de les supprimer (I). Les différents G20 de Londres et de Pittsburgh ont prévu des sanctions réelles (II), mais les différentes listes de territoires plus ou moins coopératifs sont ridicules (III). La réforme de la directive européenne sur la fiscalité de l'épargne sera un test pour voir la résistance des paradis fiscaux et la motivation des autres Etats, notamment de la France et de l'Allemagne (IV).
Une réelle volonté politique de supprimer les paradis fiscaux
Jusqu'à la crise, les paradis fiscaux étaient tolérés (A). Depuis la crise, il existe une intolérance croissante à leurs égards à cause de la crise financière (B).
A) La tolérance des paradis fiscaux
Depuis 1996 et jusqu'à la crise financière, il ne s'était rien passé de déterminant. En réalité, on avait constaté une complaisance pour cette finance clandestine “trop utile aux multinationales et aux banques”, estime Thierry Godefroy (Le capitalisme clandestin, La Découverte, 2004). Cela faisait cinquante ans que l'on annonçait la fin des paradis fiscaux et ils ne cessaient de prospérer. En réalité, on n'avait jamais dépassé le stade des vœux pieux.
Aux Etats-Unis, en 1980, à la demande du président Jimmy Carter, Richard Gordon a rédigé un rapport sur les paradis fiscaux et l'a remis le 14 janvier 1981.
Son constat est effarant et des solutions concrètes y sont proposées afin d'encadrer ces territoires («Tax Heavens and their use by United-States taxpayers, an overview»), mais il a été classé et n'a pas trouvé de suite. Déjà en 1937, le président Roosevelt avait demandé à Henry Morgenthau, son ministre des Finances, un rapport sur l'utilisation abusive des paradis fiscaux qui avait fait grand bruit à l'époque, mais il n'a débouché sur rien.Si les paradis fiscaux ont continué à prospérer, c'est bien qu'ils étaient utiles à de nombreux acteurs de la vie économique (Etats, banques, multinationales…). En réalité, on a assisté à une répartition entre les Etats, les grands y ont vu l'occasion de faciliter certaines opérations, les petits y ont trouvé le moyen d'attirer les capitaux. On a même constaté une spécialisation de certains d'entre eux (ex : le Luxembourg et les sociétés holding, les Bermudes et les compagnies d'assurances et expertise comptable, les îles Caïmans et Bahamas et les fonds spéculatifs…).
Avant la crise financière, les paradis fiscaux ont commercialisé leur souveraineté (Cf Ronen Palan, directeur du Global Political Economy Center à l'université du Sussex) et en contrepartie, leurs économies étaient impactées par les revenus directs (ex : vente de licences de sociétés offshore), les créations d'emplois et les effets indirects (tourisme, transport). Ainsi, les 26 000 habitants des îles Caïmans disposaient de 450 banques qui géraient environ 400 milliards de dollars d'actifs.
B) L'intolérance aux paradis fiscaux à cause de la crise financière:
Les Etats ont besoin d'argent car les recettes fiscales se sont effondrées et pour sauver leurs systèmes financiers et relancer leurs économies, tous les Etats se sont endettés dans des proportions considérables. Les plans de relance ont creusé les déficits et les Etats ont dû augmenter les dépenses sociales à cause de la récession. Au total, les pays du G20 ont consacré plus de 2 000 milliards de dollars aux volets fiscaux de leurs plans de relance respectifs et leur endettement a bondi de 9 000 milliards de dollars depuis qu'a éclaté la crise des subprimes.
Le déficit américain est attendu au-dessus de 1 000 milliards de dollars tant pour l'exercice fiscal 2009 que 2010. Les déficits publics devraient atteindre en 2009 13,5% du PIB aux Etats-Unis, 14% en Grande-Bretagne, plus de 8% en France, 8% en Inde, 4,7% en Allemagne et 4,2% en Chine (V, “La bombe de la dette publique”, La Tribune, 30 sept. 2009, p. 8, point de vue de Michael J. Boskin, professeur d'économie à l'université de Stanford qui a présidé le Bureau des conseillers économiques du président George H. W. Bush).
Selon l'OCDE, la dette publique américaine passera de 63% du PIB en 2007 à 103% en 2017. Au Royaume-Uni de 47% à 125%.
En France, de 70% à 99% (“Partout dans le monde, la crise provoque un emballement des dettes publiques”, Le Monde, 24 sept. 2009, p.15).
Les paradis fiscaux “(…) agissent comme des trous noirs faisant disparaître des recettes publiques” (“Paradis fiscaux, il est temps de changer de modèles”, La Tribune, 4 mars 2009, p.9, Eric Woerth).
En effet, hors blanchiment d'argent sale, les pertes fiscales dues à l'évasion dans des paradis fiscaux sont évaluées par la Banque mondiale entre 500 et 800 milliards de dollars (Selon Tax justice Network, une plateforme de recherche sur les paradis fiscaux, ce sont près de 260 milliards de dollars qui échapperaient chaque année aux Trésors publics des pays riches). On estime que les grands Etats y perdent en recettes fiscales l'équivalent d'au moins 2,5 à 3% de PIB, ce qui est considérable. Aux Etats-Unis, le manque à gagner fiscal est évalué à 100 milliards de dollars, en Allemagne à 30 milliards d'euros.
En France, “l'évaporation” serait de l'ordre de 15 à 20 milliards d'euros par an. Dans ce contexte financier catastrophique, les Etats ont donc décidé de lutter activement contre les paradis fiscaux et de les “tuer”. À cet effet, deux G20 ont été consacrés, entre autres, à la lutte contre les paradis fiscaux, celui de Londres le 2 avril 2009 et celui de Pittsburgh en septembre 2009. Les décisions du G20 de Londres sont fondamentales et montrent une réelle volonté politique de lutter contre les paradis fiscaux, grâce notamment à des sanctions réelles.
M. F.
(*) Professeur de fiscalité et de géopolitique à Euromed Management (France).


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