“Quel bonheur ! Le médecin a exigé de moi de ne plus manger de viande et en plus il m'a dit que mon cas est désespéré, donc je vais pouvoir, en plus, épargner l'argent du médicament”. Il s'agit du texte d'une caricature, publiée avant-hier sur les colonnes de l'hebdomadaire Rose El Youcef , d'un vieil homme sortant tout souriant d'un cabinet médical. Une représentation donnant plus ou moins une idée sur une réalité sociale égyptienne des plus pénibles. Il suffit de marcher dans les quartiers du Caire pour s'apercevoir à quel point la pauvreté règne dans ce pays aux 80 millions d'habitants (dont 17 millions dans la capitale). Même les quartiers réputés chics ne sont pas épargnés par les signes d'une misère dont la vue est souvent choquante. Zamalek en est la meilleure illustration. Le “Hydra” du Caire n'est plus le même. Dans ce quartier, il n'est pas rare de trouver, dès la tombée de la nuit, des vieux en galabieh (longue robe traditionnelle masculine) “préparer” leur lit de fortune en carton à quelques mètres seulement de la terrasse d'un restaurant bondé de touristes. Les premiers à le déplorer sont les anciens habitants. “En quelques années, tout s'est transformé ici”, nous dira un commerçant de la grande rue du 26-Juillet. “Il y a trop de saletés et les nécessiteux ont envahi nos ruelles”, ajoutera-t-il. Tous se disent dans l'impossibilité de “repousser ses envahisseurs” qui ne sont pas les bienvenus. Mis à part quelques rares petits “îlots” de prospérité, à l'instar de Garden City, les signes de pauvreté sont devenus impossibles à dissimuler dans quasiment tous les endroits de la capitale. Un peu moins du côté de Khan Khalili (l'un des lieux privilégiés des touristes), mais d'une flagrante acuité ailleurs. Ainsi, la partie ancienne de la capitale est submergée de mendiants surtout du côté des lieux de culte. Un touriste aura tout le mal du monde à circuler du côté de la mosquée de Sayyida Zineb. Pas seulement à cause de la foule impressionnante y circulant. Les mendiants, dont beaucoup de handicapés, harcèlent (et le mot est faible) tout étranger en demandant l'aumône avec des “méthodes” d'avilissement souvent insoutenables. Aussi, il n'y a pas que les miséreux qui sont dans une situation de nécessiteux, comme nous l'affirmera un avocat. “Le pays n'a plus de classe sociale moyenne. Il ne reste que les pauvres et les riches.” En Egypte, si vous n'êtes pas mendiant, et si vous n'appartenez pas à la catégorie “aisée”, vous ne pouvez être qu'un pauvre en sursis. Un état des lieux qui ne fait que se dégrader au fil des années. “L'espoir de voir les choses s'améliorer ne semble plus exister” dans le lexique des habitants de Oum Dounia. Le pouvoir d'achat est la première préoccupation des Egyptiens. À l'instar des Algériens, le match du 14 novembre est défini ici comme l'opium servi au peuple pour oublier les problèmes quotidiens : “On le sait et on est consentant parce qu'on a envie d'oublier notre misère. Une qualification au Mondial sera pour nous des moments de bonheur à ne pas rater.” Question d'“opium” L'autre opium “plébéien”, en l'occurrence la religion, fait également parti du décor local. Même le football s'est vu “envahi” par des signes de religiosité. En plus du surnom de l'EN égyptienne, “fariqou a sadjidine” (l'équipe de ceux qui se prosternent) il y a bien d'autres facettes de cette alliance entre le football et la religion. Pour Mansour, taxieur d'une quarantaine d'années, l'“arme de destruction massive” des Egyptiens pour le match de samedi prochain n'a rien à voir avec la qualité des éléments du coach Shehata : “Ce qu'aucun Egyptien n'osera dire, surtout pas devant un Algérien, est que notre adversaire a une meilleure équipe, et la seule manière de le battre est d'utiliser notre redoutable arme : prier”. En Egypte, qui dit religion ne veut pas dire uniquement islam. Les Coptes chrétiens (environ 8 millions) sont très présents. Souvent, on peut les reconnaître à la petite croix tatouée sur l'avant-bras de beaucoup d'entre eux. “Certes, ce n'est pas flagrant mais il y a une réelle guerre froide entre les deux communautés”, affirme Rabah, un étudiant algérien installé en Egypte depuis trois ans. “Chacun affiche sa religion à sa manière. Les musulmans mettent souvent des sourates sur le devant de leurs commerces et maisons. J'ai même vu devant la porte d'entrée d'un cabaret la ilaha ilala allah (il n y a de Dieu que Dieu : ndlr)”. Désordre et vacarme Une autre caractéristique du Caire, en dehors du manque d'hygiène, est l'incroyable cacophonie dans la circulation. À voir comment circulent les voitures, il est impossible de croire qu'un code de la route existe même s'il y a de nombreux agents de la circulation. En plus du vacarme incessant, avec des klaxons jour et nuit, la pollution est omniprésente. Quelques minutes de marche dans la rue d'El Azhar et vous vous sentirez dans la peau de quelqu'un qui a fumé trois paquets sans interruption. On ne peut omettre la présence d'un très grand nombre de taxis : “Si nous en avions autant à Alger tout le monde aurait garé sa voiture”, dira un homme d'affaires algérien de passage au Caire. Cependant, la plupart des habitants de la capitale se contentent des bus pour se déplacer, pouvoir d'achat oblige. La différence des prix est très significative entre les deux moyens de transport (entre 0,5 et 1 lire égyptienne pour les bus et au moins 5 le taxi). Décalage des préoccupations Concernant la politique, le premier constat flagrant est le grand déphasage entre les médias (presse écrite ou télévision) et la population. Alors que les grandes manchettes des journaux sont dédiées à l'imminence d'un remaniement ministériel, ou aux débats autour des prochaines élections législatives (prévues en 2010), la “plèbe” semble totalement s'en désintéresser. Pour un journaliste de l'une des 10 chaînes étatiques, ce n'est point une surprise : “Les Egyptiens ont bien d'autres préoccupations que de se pencher sur la politique. Le plus important c'est de trouver des solutions pour survivre.” L'autre sujet-phare des médias est la succession du président Moubarak, avec la possible intronisation de son fils, Gamal. Sujet paradoxalement occulté par la population. Par contre, elle est de plus en plus inquiète de la grande propagation de la grippe H1N1 qui prend les allures d'une véritable épidémie dans le pays. Avec près de 5 000 décès, c'est carrément la psychose surtout au niveau des établissements scolaires. S. K.