La manière dont la télévision nationale a couvert l'événement, avec une absence de réactivité flagrante, est une preuve que cette télévision appartient à l'âge de la préhistoire des médias. Vivement l'ouverture ! Les responsables de l'ENTV vivent-ils à notre époque ? Ont-ils compris que nous sommes à l'ère des NTIC, de l'image en temps réel ? La question, qui peut sembler a priori surprenante, voire provocante, se pose d'elle-même quand on constate le manque de réactivité pathétique (car elle fait pitié) de l'unique face à l'agression dont furent victimes les joueurs de l'équipe nationale sur la route de l'aéroport vers l'hôtel. L'embuscade contre les Verts s'est produite aux environs de 17 heures, heure locale. À peine quelques minutes passées et la bataille de l'image s'engage. Les images prises par les joueurs avec leurs portables et celles de l'équipe “2P2L” de Canal+ ne tarderont pas à faire le tour des télévisions européennes, égyptiennes et du Golfe, dont certaines n'ont pas hésité à bousculer leur grille pour donner la priorité des priorités à l'événement qui prend du coup une dimension planétaire. Concurrence et audimat obligent. Lemouchia et Halliche, le visage en sang, les vitres brisées du bus, les pavés montrés par Saïfi… Des images parlantes, mais surtout trop accablantes pour la partie égyptienne dont les responsables n'ont pas tardé à mesurer l'importance de l'incident et les risques qu'ils encourent. Aussitôt, la contre-attaque s'organise. La grosse artillerie médiatique égypto-Golfe est mobilisée. Nile Sat, qui est pourtant une télévision d'Etat (n'est-ce pas Messieurs les responsables de l'ENTV ?) Dream I, Dream 2, Al Djazeera Sport, Al Arabia, comme réagissant à une injonction, tentent de “vendre” la version égyptienne de l'incident. “C'est une mise en scène de la délégation algérienne”, tentent de convaincre les journalistes, qui minimisent, qui osent même en pareil moment s'attarder, comble du cynisme, sur “l'amitié algéro-égyptienne”. Selon la célèbre formule de Goebbels, “plus le mensonge est gros, plus il passe”. Celui qui serait le chauffeur du bus (un homme qui a le profil d'un agent des services égyptiens bien briefé pour dire exactement ce qu'on attend de lui) abonde dans le sens de la thèse du complot. “Des joueurs algériens ont arraché les sièges du bus pour se rentrer dedans”, témoigne-t-il la main sur le cœur. Les camarades de Saïfi avaient-ils embarqué avec eux une caisse à outils pour pouvoir déboulonner les sièges ? Pour défendre tant soit peu la cause algérienne, ce sont encore une fois les médias français et marocains qui montent à la manœuvre. France 24, Euronews, Canal+ diffusent en boucle les images de l'agression avec des commentaires incriminant la partie égyptienne. i-Télé a réussi la prouesse d'interviewer le capitaine des Verts, Yazid Mansouri. Médi1 Sat colle à l'événement en reprenant les images diffusées sur la Toile. Un journaliste algérien et un autre égyptien sont intervenus en live à partir du Caire, pendant que Leila Bouzidi, une ancienne de l'ENTV, qui avait compris qu'il n'y avait rien à faire dans cette “boîte” ringarde, opère en plateau avec des invités pour commenter l'incident. Et pendant tout ce temps, où la planète est en émoi, l'ENTV fait un peu comme Néron qui voit de loin brûler Rome en jouant de la harpe sur un belvédère. Ce n'est qu'à vingt heures, c'est-à-dire après que le sujet eut totalement refroidi, qu'au boulevard des Martyrs, on daigne enfin en parler. Mais comment ? Après avoir consacré une bonne partie du JT à la visite du président Bouteflika à Sétif. Et même en abordant enfin le sujet, c'est pour dire que tout va bien, madame la Marquise. En effet, les Algériens qui ont eu tout le loisir de suivre en direct l'événement via la Toile et les chaînes satellitaires sont enfin gratifiés des images de l'ENTV, version “fraternité algéro-égyptienne”. On y voit la délégation algérienne arriver à l'aéroport du Caire accueillie avec fleurs et couronnes. Djiar et son homologue posant devant les caméras sous le slogan “même langue, même religion”. Et Raouraoua se félicitant de “l'accueil fraternel”. Ce n'est qu'à la toute fin du JT que la journaliste de l'ENTV arrive enfin “aux choses sérieuses” en donnant la parole à Djiar qui parle de l'incident en cherchant paradoxalement des circonstances atténuantes aux agresseurs égyptiens. Mais à la décharge de l'ENTV, il faut souligner qu'elle n'avait pas la possibilité de diffuser des images de l'EN, la FAF ayant signé un contrat d'exclusivité avec la chaîne française Canal+ via sa boîte 2p2l qui avait déjà produit avec le réalisateur Stéphane Meunier les Bleus dans les yeux, un documentaire sur les coulisses de l'équipe de France vainqueur de la Coupe du monde 1998. Mais cela n'excuse en rien le ratage de l'ENTV, qui avait la latitude de coller à l'événement en faisant intervenir en direct son armada d'envoyés spéciaux au Caire. Et c'est comme cela qu'elle passe encore à côté d'un événement médiatique sur lequel elle est censée être en première ligne. Résultat du match ENTV 0 - médias étrangers 1.