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Quand le Titteri affronte le crime
Près de 300 gendarmes et policiers mobilisés dans une opération combinée
Publié dans Liberté le 14 - 11 - 2009

Cœur des Hauts-Plateaux surplombant le sud-ouest, porte du Sahara aux multiples facettes géographiques, linéaire principal des grandes routes qui butent sur l'Oranie, la capitale du Titteri croule sous un froid glacial et sec. Ici, il serait vain de consulter la météo. Surtout pas pour les habitués qui s'engouffrent dans leurs kachabias pour braver les morsures d'un hiver qui s'annonce rude. Des quatre principaux accès de la ville, Tiaret nous ouvre grand ses bras et nous invite à ôter le voile sur une réalité, autrefois latente, devenue aujourd'hui patente : le crime. Sous toutes ses formes. Pourtant, cette région regorge de belles choses, de vestiges, de carrefours historiques, de traces civilisationnelles, voire d'empreintes d'hommes d'Etat, de philosophes, d'écrivains, mais aussi de vedettes du sport-roi, le football. Reportage.
La grisaille couvre quasiment le ciel du Grand-Titteri. Depuis la déviation de Relizane, les chemins qui mènent à Tiaret foisonnent de richesses disséminées par Dame Nature et de vergers à perte de vue. Face au décor débordant d'oliviers, de cheptel, de vastes champs arables, de larges murailles d'ardoise morte mais expressive, témoignant de traces mille fois millénaires, aussi frêles que résistantes, nous pénétrons subtilement un monde rural par excellence où la spécificité du climat social ne prête guère aux ressemblances des grandes agglomérations. Ici, le temps et l'espace sont à la merci d'une partie du Titteri plus proche de l'authenticité que d'une modernité galvaudée ou dictée par des façades morbides du changement. Avec un avant-goût de l'Aïd el-Adha qui pointe du nez, les Tiaretis vivent, à l'instar de tous les Algériens, une ambiance électrique à J-4 du classico Egypte-Algérie. Le décor est planté. Dans toute la ville. Le revers de la médaille aussi. Ici, le monde bouge. Lentement. Mais sûrement, dès que des phénomènes baroques à la mentalité des autochtones s'y incrustent, créant un choc et un fossé dans une société où se confondent les deux cachets : tradition et développement.
Inadaptation ou mauvaise donne ?
Sûrement pas ! Certaines formes de crimes qui sévissent à Tiaret revêtent un caractère de pure ruralité, pendant que d'autres qui s'y greffent ne diffèrent point de ceux qui règnent sur le littoral de l'Algérois, de l'Oranie, ou encore des grandes villes, comme Constantine, Tizi-Ouzou, Annaba ou autres Batna et Sétif.
Le commandant du groupement de la Gendarmerie nationale de Tiaret, le lieutenant colonel Tewfik Mekhalfa, explique cette dichotomie et mélange d'espèces, non sans faire la part des choses sur ce revers brutal. “Les crimes et les délits que nous enregistrons au quotidien sont le propre de litiges généralement liés au vol de cheptel, aux différends inhérents au foncier, aux coups et blessures volontaires. Mais nous constatons aussi des phénomènes qui ne sont pas le propre de Tiaret, comme l'attentat à la pudeur et la prostitution, ou encore l'abus sur des mineurs”, affirme-t-il, mettant en avant les facteurs véhiculant le crime sous toutes ses formes.
Opération coup-de-poing ciblée dans 20 cités et quartiers
Soigneusement préparée, l'opération coup-de-poing, menée par près de 300 gendarmes et policiers, a ciblé 20 cités et quartiers populaires de Tiaret. Entre autres : les cités Bouheni, El Abadia, Kermane, Aïn Kasma, Lombard, Oued Tolba, Jolie Vue, Village espagnol, la place Rouge et la gare routière. Quatre équipes cynophiles pour la détection de la drogue, 3 appareils Fennec pour la détection d'explosifs et 71 moyens de locomotion, entre voitures et motocycles, ont été déployés pour maîtriser le sujet avant la descente. La tâche ne sera pas facile, car il s'agit de sites réputés noyaux de délinquance et ce, même si l'on concède que Tiaret est une ville calme et “déstressante”.
Cette opération est menée en deux étapes pour cibler 10 sites dans la journée et 10 autres durant la nuit. Le froid glacial ne facilitera pas la tâche aux services de sécurité. Toutefois, la détermination l'emportera et l'objectif, comme l'a souligné le colonel Abderrahmane Ayoub, directeur de la communication au commandement de la Gendarmerie nationale (CGN), “est de tranquilliser les populations et de dissuader les criminels et les délinquants”. Le bilan présenté par le lieutenant colonel Mekhalfa et l'officier chargé de la communication à la Sûreté de wilaya de Tiaret, Mohamed Aïssani, sera consistant et ce, en seulement 7 heures d'opération. Sur les 232 personnes identifiées, 18 ont été appréhendées pour divers motifs. Du kif traité saisi, des psychotropes, des amendes forfaitaires, des retraits de permis pour infraction au code de la route, les services de sécurité auront démontré, l'espace d'une opération combinée et réussie, leur capacité de mobilisation dans la double optique prévention et répression dans les quartiers difficiles et les axes routiers. Durant la même opération, 14 affaires ont été traitées liées au trafic de drogue (6), détention illégale d'armes prohibées (5), immigration clandestine (1) et prostitution (1). Autrefois calmes, certains de ces quartiers ont connu une urbanisation anarchique, voire une bidonvilisation à un rythme exponentiel du fait, notamment de l'exode des populations dû au terrorisme durant les années 1990.
300 opérations des SSI en dix mois
Le cheptel, ressource numéro 1 des populations du Titteri, où pullulent, par ailleurs, les bergeries et les étables, constitue un problème crucial pour la région. La veille de notre arrivée, les gendarmes avaient élucidé une affaire de vol de bétail à Ksar Chelala. Trois individus, originaires de Aïn Defla, avaient subtilisé près d'une cinquantaine de têtes d'ovins à un éleveur. Lors de leur arrestation, et après une fouille minutieuse de leur camion, les gendarmes ont découvert de la poudre blanche : un poison qu'ils avaient utilisé pour tuer le chien de garde afin de ne pas éveiller les soupçons de la victime. Cette affaire s'ajoute aux 36 autres traitées, dont 30 élucidées, de janvier à fin octobre 2009, par le groupement de wilaya de la Gendarmerie nationale. Les vols de cheptel dans les zones steppiques de la capitale du Titteri, qui s'étalent sur près de 8 000 km2, “sont quotidiens et récurrents”, explique encore le lieutenant colonel Mekhalfa. Dans ce vaste territoire de 20 000 km2, il se passe aussi des choses puisque Tiaret est limitrophe de plusieurs wilayas : Relizane, El Bayadh, Saïda, Mascara, Laghouat, mais surtout Djelfa, réputée pour être une plaque tournante du crime organisé. Le bilan des dix premiers mois de 2009 parle de lui-même : 1 373 personnes arrêtées — présentées devant les juridictions compétentes – dans 1 090 enquêtes menées par le groupement de wilaya, appuyé par 1 unité de section de surveillance et de sécurité (SSI), 1 escadron de sécurité routière (ESR), 5 compagnies et 32 brigades de gendarmerie qui assurent plus de 76 % de couverture sécuritaire. Dans les 50 crimes, 778 délits et 262 contraventions traitées, ce sont 1 330 personnes de sexe masculin et 43 autres de sexe féminin qui sont impliqués dans la criminalité globale. Et si ce bilan fructueux renferme d'autres données, comme l'implication des mineurs (soit 3,13%), il n'en demeure pas moins que l'atteinte à la pudeur (10), l'adultère (4), la prostitution (10) et les abus sexuels infligés aux mineurs (31) inquiètent et posent une véritable problématique d'atteinte aux mœurs dans une région où les secrets sont vite dévoilés. En outre, ce sont 18 cas d'association de malfaiteurs qui sont constatés par le groupement de gendarmerie de Tiaret. Dans ces zones semi-arides, où sont souvent mêlés les nomades et les transhumants venant du désert et des autres régions limitrophes des Hauts-Plateaux, les criminels sévissent et se constituent en noyaux durs de la délinquance. Les 300 descentes opérées par les forces d'élite de la Gendarmerie nationale, en l'occurrence les éléments des SSI, ont permis de démanteler plusieurs poches isolées. Sous la houlette du groupement de wilaya, les SSI ont, durant ces opérations coup-de-poing, investi les milieux criminels où 1 493 personnes ont subi des identifications. Bilan : 210 individus libérés, 220 ont fait l'objet de procès-verbaux et 118 autres placés sous contrôle judiciaire. Intraitables sur le terrain, ces élites ont récupéré 64 armes blanches, une arme à feu, un fusil de marque Saint-Etienne, des munitions, de la drogue, des psychotropes et des faux billets de banque. Au chapitre de l'immigration clandestine, le lieutenant- colonel Mekhalfa a révélé que Tiaret est une région très convoitée par les Syriens, spécialisés dans le forage des puits. Sur 9 affaires traitées, 3 sont liées à l'atteinte à la nappe phréatique. Par ailleurs, 118 personnes ont été appréhendées dans la lutte contre la drogue.
Le groupement de wilaya a également traité plusieurs affaires liées au trafic de marchandises avec des saisies-record estimées à 3,2 milliards de centimes, au trafic de véhicules et autres crimes et délits. “Avec la mise en place de 4 nouvelles brigades et de 2 autres sections de sécurité routière, nous atteindrons, en 2014, un maillage sécuritaire total (100%). Il faut dire que la criminalité prend de nouvelles formes, mais nous avons les moyens d'y faire face", explique encore le lieutenant-colonel Mekhalfa. En revanche, les accidents de la circulation augmentent. Le facteur humain en est la raison principale. Tiaret a enregistré 571 accidents en 10 mois, avec 78 décès et 1 051 blessés. Soit 105 blessés et 7 morts par mois ! La majorité des sinistres sont enregistrés sur les RN 23 (reliant Tiaret à Saïda et Mascara) et 14 (menant vers Relizane) ainsi que les chemins de wilaya. En ce sens, notre interlocuteur révélera que pas moins de 8 114 retraits de permis de conduire et 29 447 amendes forfaitaires ont été enregistrés, avec 28 431 contraventions non honorées, soit un manque à gagner de plus de 20 milliards de centimes pour le Trésor public.
204 personnes recherchées par la police
La Sûreté de wilaya de Tiaret a lancé, durant les neuf premiers mois de l'année en cours, 204 avis de recherche contre des individus impliqués dans des crimes et des délits. C'est que le crime organisé commence à prendre forme dans la capitale du Titteri où les fléaux de la drogue, de l'escroquerie, du trafic de véhicules, d'atteinte à l'économie nationale ainsi que les délits financiers prennent des proportions alarmantes. Et si certaines affaires sont totalement élucidées par les policiers, comme le trafic de stupéfiants (89 cas), atteinte à l'ordre public (12 cas), escroquerie (30 cas), émission de chèques sans provision (5 cas), pour ne citer que ces dossiers, il est évident que d'autres affaires sont en cours de traitement alors que d'autres encore exigent du temps, notamment après la fuite des mis en cause. En ce sens, le bilan de la Sûreté de wilaya montre que sur les 2 904 affaires, 64,70% ont été élucidées, soit 1 879 affaires, alors que sur les 2 898 personnes incriminées, 204 sont activement recherchées pendant que 2 694 individus ont été arrêtés et présentés devant la justice. L'opération combinée achevée, la vie a repris son cours dans la capitale du Titteri, malgré le froid glacial. Place au spectacle, place au football…
F. B.


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