Un peu comme dans un film de guerre, l'image donne davantage de place à ces tuniques militaires imposantes qui cadrent le panorama qu'à tout décor relatif à un évènement sportif. Mille, deux mille, probablement trois mille, certainement quatre mille et assurément davantage, vraisemblablement aux alentours des cinq-six mille, dépêchés spécialement en ce samedi 14 novembre pour assurer la sécurité de près de 80 000 spectateurs présents au Cairo Stadium pour l'affiche arabe de cet ultime match des qualifications au Mondial 2010. Intransigeant, gaillard, au regard impitoyable, le prototype même du policier égyptien digne d'un tel Etat policier ne rigole point. Il te fixe des yeux, te demande, gentiment certes mais très fermement, ton statut, t'exhorte à exhiber ton laissez-passer professionnel avant de passer aux choses sérieuses : la fouille corporelle. Vous avez bien lu, une fouille corporelle de ce qu'il y a de plus épidermique. Une fouille gênante, à la limite humiliante. De larges mains rigides et insistantes vous traversent le corps, comme dans un point-check du côté de Tel-Aviv où nos frères palestiniens vivent ce calvaire chaque jour que Dieu fait. Si cette fouille corporelle paraît à la limite supportable, pour la gent féminine, c'est tout simplement dégradant, voire même machiste. Imaginez cette Algérienne libre et digne obligée d'ôter ses habits jusqu'à ses accessoires les plus intimes. La pauvre, elle a beau résister mais l'intransigeante policière qui la “prend” en charge ne veut rien entendre. Elle s'exécute, mais a-t-elle vraiment le choix ? Elle qui a parcouru tant de centaines de kilomètres pour porter aux nues son équipe nationale. Fouille corporelle même pour les femmes algériennes Pour un non-habitué au labyrinthe du Cairo Stadium, demander à un de ces milliers de soldats en tenue l'itinéraire équivaudrait à une auto-mutilation dans le simple but de se perdre dans cette immense forêt où le noir de leur tenue prend le dessus même sur le gris des gigantesques fondations en béton. Même les cavaliers se mettent de la partie avec leurs montures pour vous donner le tournis et vous dissuader, en tant qu'étranger, qui plus est algérien, de poser pied dans ce chaudron humain où deux autres couleurs viennent s'ajouter au noir policier, le rouge et le blanc. L'heure affichait à peine 17h10 que toute cette impassable multi-barrière policière s'est endurcie un peu plus, resserrant davantage les mailles et d'imposer au mercure, symbolisant la tension, une ascension fulgurante. On le sentait même dans leur regard et dans leur gestuelle qui trahissaient une pression certaine. “Personne ne doit bouger de sa place. Ne laissez passer personne, fut-elle général de l'armée !” tancera, rageusement, un haut gradé aux multiples galons, avant de donner l'exemple à ses subalternes en criant à la face d'un membre, visiblement appartenant à un autre corps constitué, de faire machine arrière et de rebrousser chemin. La raison ? Les Algériens, comprendre l'équipe nationale, étaient attendus en ce moment. Car, les autres Algériens, les supporters, avaient été invités à rejoindre la tribune supérieure qui leur était allouée par une porte mitoyenne à celle des VIP, évidemment sous très haute sécurité. Sous bonne escorte, les Verts feront leur entrée au Cairo Stadium sous, bien sûr, les sifflets des fans égyptiens, visiblement surpris à ce moment-ci par une telle intrusion. Calmes et sereins, les Verts concentrés sur leur mission évitent même du regard la foule. Il est vrai qu'ils ont déjà vécu une agression depuis leur arrivée dans la capitale égyptienne. Direction les vestiaires dans un silence religieux. Le moment est historique. La mission l'est tout autant. Nancy Ajram et Adhan Du côté vert du stade, dans le cœur de ce légendaire Cairo, l'ambiance est tout simplement extraordinaire. L'indescriptible communion entre le speaker de l'enceinte et le peuple égyptien est idyllique. Passé visiblement maître dans cette pratique populaire, ce speaker au sens de l'humour assez développé chauffera à blanc les dizaines de milliers d'inconditionnels qui, tour à tour, reprendront tous en chœur El-Fatiha, avant de fredonner tous ensemble… le tube de la chanteuse libanaise à succès, Nancy Ajram “Inta Masry”, puis en replongeant de nouveau dans le courant religieux à la faveur de cette prière collective dès la fin de l'appel (el-adhan) d'el-ichaa, diffusé intégralement sur les écrans géants du stade. Un paradoxe flirtant entre le folklorique et le théocratique qui symbolise d'ailleurs parfaitement la formidable ambiance créée par cette foule égyptienne hétéroclite, les Algériens ne s'étant jamais fait entendre dans ce record de décibels. Pas pour longtemps, puisque à 18h43, l'entraîneur des gardiens de but, Belhadj, fit son entrée sur la magnifique pelouse verdoyante du stade du Caire pour donner le coup d'envoi au bal algérien. Tel un seul homme, les 2 000 supporters qui ont eu le privilège de pénétrer dans cette forteresse égyptienne ne se sont pas fait prier pour faire entendre leur voix. Les “One, two, three, viva l'Algérie” fuseront au milieu de la cohue égyptienne, galvanisant les joueurs de l'équipe nationale qui firent leur entrée graduellement sur la pelouse. Drapés de l'emblème national, Halliche et Babouche donneront le ton à la réplique algérienne. Comme il fallait bien s'y attendre, la réponse égyptienne ne se fera pas attendre. Sifflets nourris avant que l'équipe égyptienne ne fasse également son entrée sur le terrain au milieu d'un brouhaha indescriptible. Les deux protagonistes prirent chacun leur quartier pour en faire son périmètre pour les besoins de l'inévitable pré-séance d'échauffement. Cela durera environ 20 minutes dans une ambiance bon enfant. Plus haut, dans les tribunes, les cris cèdent peu à peu la place à un silence reposant, le temps de contempler et admirer les guiboles des deux camps en train de faire parler le don, la technique et l'élégance. Un spectacle de choix en avant-première de la grande explication imminente. L'hymne national algérien sifflé Cependant, le plus regrettable dans tout cela est intervenu au moment où l'hymne national algérien sera entonné au Cairo Stadium. Ces Egyptiens revenus subitement à un âge qu'on croyait révolu, sans doute pas celui de la civilisation moderne, osèrent unanimement siffler l'hymne national algérien en présence de deux de nos ministres et dans une consternation générale, côté algérien. Kassamen sera tout même et fort heureusement repris en cœur par les 2 000 fans algériens et la délégation des journalistes algériens présents dans une ambiance émouvante que nous avons même du mal à transcrire. Le la était donné pour une intense symphonie à suspense qui ne durera, malheureusement pour les amateurs de sensations fortes, que l'espace de 90 minutes. Quatre-vingt dix minutes où l'affect prit le dessus sur les méninges et le passionnel sur le rationnel. S. L. et R. B.