Classé comme un chef-d'œuvre cinématographique et une pièce documentaire de valeur, le film n'échappe pas, pour autant, à la manipulation. Le Pentagone a-t-il fait une mauvaise publicité à la Bataille d'Alger en s'en inspirant dans sa guerre contre le terrorisme ? En 2003, des responsables militaires américains ont visionné le film de Gillo Pontecorvo et l'ont utilisé comme référence documentaire, pour mieux comprendre comment les réseaux d'Al-Qaïda se constituent, recrutent et opèrent. La fiction restituant les péripéties de la lutte clandestine dans la capitale, entre 1954 et 1956, devait aussi leur permettre de rattraper les erreurs stratégiques de l'armée française, qui avait gagné la Bataille d'Alger mais avait perdu la guerre d'Algérie. Selon des experts anglo-saxons, l'islam a joué un rôle fondamental dans la Révolution algérienne en lui procurant un cachet rassembleur. Est-il adéquat pour autant de comparer les poseurs de bombe du FLN aux kamikazes d'El Qaïda ? Le concept du djihad sied-il vraiment à ces derniers ? Plus globalement, peut-on vraiment suggérer que les Algériens, comme en Iran, ont conduit une révolution islamique ? Dans une tentative d'y voir plus clair, Nick Harrison, enseignant à King's College à Londres, a fait sa propre critique de la Bataille d'Alger. Mercredi dernier, il livrait ses conclusions au cours d'une conférence débat intitulée “Révolutionnaires, résistants ou moudjahidine ? L'identité islamique dans le film de Pontecorvo”. La rencontre tenue à SOAS (School of Africain and Oriental Studies) était ponctuée par la projection de séquences de la Bataille d'Alger. L'académicien s'est employé à traquer l'empreinte de l'islam dans le film, à travers le choix de clichés bien précis, mais discutables. Le premier passage dévoile une Casbah grouillante et pauvre au moment où une voix off lit la déclaration du 1er Novembre 1954. Dans son appel, le Front de Libération Nationale s'engage “à la restauration de l'Etat algérien dans ses principes islamiques”. Mais en même temps, il promet que cet Etat se construira dans “le respect de toutes les libertés fondamentales, sans distinction de race ou de religion”. La seconde séquence illustre la campagne de prohibition du FLN à travers l'irruption d'Ali la Pointe dans une maison close où il est à la recherche d'un proxénète pour le tuer. Dans une autre, il gifle un fumeur de cigarette. Enfin, Nick Harrison a sélectionné une scène retraçant une cérémonie de mariage clandestin dans une maison de la vieille ville, où les présents récitent la Fatiha, pour bénir l'union des deux jeunes élus. Mais c'est sur un registre d'état civil que les nouveaux époux transcrivent leur engagement respectif. En fait, si l'islam est présent dans la Bataille d'Alger, il n'a pas une place majeure. Le cri d'Allah Akbar qui est émis pas des résistants au cours de séances de torture fait-il d'eux des combattants islamistes pour autant ? Pour forger son opinion, M. Harrison s'est appuyé sur un ensemble d'études réalisées sur cette question. Il cite à ce propos un passage de l'Algérie en armes où l'auteur Slimane Chikh considère que “l'évocation d'Allah est le recours à la religion permettent de tremper la volonté du combattant et de surmonter les pires épreuves”. Dans une interview qui lui a été accordée en 2006, Yacef Saâdi, principal protagoniste de la Bataille d'Alger, révèle que les leaders de la Révolution étaient musulmans mais que la plupart étaient non pratiquants et que leur intention était de construire un Etat laïc où toutes les religions seraient respectées. Selon M. Harrison, le profil de Pontecorvo lui-même, un Italien d'origine juive et militant antifasciste, exclut que la Bataille d'Alger soit de tendance “islamiste”. Une chose est sûre. Classé à la fois comme un chef-d'œuvre cinématographique et une pièce documentaire de valeur, le film n'échappe pas a la manipulation, y compris en Algérie où les groupes terroristes n'ont pas manqué de s'identifier aux fidayin de la Révolution. En France, où il a été interdit de diffusion pendant des décennies, certaines voix pensent qu'il peut servir de référence à quelques illuminés des banlieues. De Londres, Samia Lokmane-Khelil