Jamais peut-être la Forteresse Rouge d'Omdurman n'a été aussi prise d'assaut qu'en cet après-midi caniculaire du mercredi 18 novembre, jour de foot, de passion, d'hystérie et de qualification à Khartoum, où Algériens et Egyptiens s'étaient donné rendez-vous pour l'explication de la décennie. Mais si pour les représentants des différents supports médiatiques, l'entrée à El-Qalâa El-Hamra a été un véritable calvaire à épisodes, dictés par les sautes d'humeur d'un impressionnant dispositif de sécurité très enclin à s'incliner devant tout souhait égyptien avant de sortir les crocs juste à la vue d'un indice algérien, les supporters des deux camps ont, pour leur part, eu plus de facilité à faire “tomber” cette forteresse d'un jour, se départageant, presque équitablement, les entraves du chaudron d'El-Merrikh. Les milliers de supporters algériens, dont le nombre flirtaient (à vue d'œil) facilement avec les 20 000, eurent d'ailleurs été très surpris en pénétrant dans le stade par le nombre jamais insoupçonné jusqu'alors de leurs rivaux égyptiens. Alors que dans les différents quartiers du cœur-même de Khartoum, la “bataille de la rue” a été facilement gagnée par les Algériens, devant l'absence quasi totale d'Egyptiens qui ne font leur timide apparition que tard à la veille du match, dans l'enceinte-reine d'Omdurman, celle des tribunes paraissait à égalité, tant les supporters des Pharaons en dominaient la moitié. Un vice-champion olympique de judo parmi la foule, et, comme il fallait bien s'y attendre, les chants des deux côtés du stade n'ont cessé, créant une ambiance électrique certes, mais pas inquiétante le moins du monde. Plus de quatre heures nous séparaient pourtant du coup d'envoi de la rencontre. Mais de crainte de voir “l'autre partie” prendre ne serait-ce qu'une petite avance, nos compatriotes avaient, pour la petite histoire, pris d'assaut cette forteresse dès la mi-journée. À bord d'autocars, de clandestins, de charrettes, sur le toit de bus ou carrément à moto derrière un Soudanais ou à pied, les supporters des “Verts” avaient d'ailleurs créé une ambiance festive tout au long du trajet Khartoum-Omdurman, long de douze kilomètres. En pareille situation confuse, des dérapages et quelques excès ont, inévitablement, été enregistrés, comme cette “manie” de quelques groupes de supporters d'exhiber, main en l'air, des armes blanches de différents “calibres”, ce qui a fait craindre le pire à certains Soudanais guère habitués à ce genre de scènes. Plus la température montait, plus les décibels augmentaient, l'on sentait que l'on s'approchait de ce stade qui allait départager les deux derniers pays arabes candidats au Mondial sud-africain. Une foule immense, des drapeaux à perte de vue, quelques échauffourées, et des chants repris en chœur par cette galerie à rallonge complétaient ce décor footballistique comme le Soudan, de l'aveu même d'autochtones, n'en avait jamais connu. Un handicapé sur fauteuil, d'Alger à Omdurman ! Parmi cette foule compacte, un enfant d'El-Harrach sortait du lot, il était facilement reconnaissable en raison de son séduisant minois, de son imposant gabarit et de son sourire, pas du tout jaune, qui a égayé des millions d'Algériens l'été 2008 à partir de Pékin la chinoise. Un vice-champion olympique de judo, drapé de l'emblème national, parmi le peuple algérien de Khartoum, cela ne peut d'ailleurs arrivé qu'une fois dans une vie ! Cette gageure, Amar Benyekhlef l'a réussie, créant à lui tout seul un évènement dans l'évènement, démontrant au passage, comme si le besoin l'était encore, son amour du pays et son attachement à la classe populaire. Il ne fallait toutefois pas obligatoirement être une masse de muscles pour se déplacer à Khartoum et se frayer un chemin parmi la foule pour arriver à avoir sa place parmi les 40 000 que compte le jardin d'El-Merrikh. Un handicapé, sur fauteuil roulant, a, ainsi, créé un précédent en se retrouvant, dans la tribune, tout comme les autres milliers de ses compatriotes, pris de la fièvre verte depuis la campagne jusqu'à hier dans la journée victorieuse dans ces éliminatoires jumelées CAN et Mondial 2010. Mesurant certainement les risques d'éventuels dérapages, les responsables de la sécurité au niveau de la capitale soudanaise ont, dans un tout autre registre, fait carrément dans le dissuasif. Fumigènes algériens contre Soudanais à l'égyptienne Des policiers, des militaires, des forces anti-émeutes renforcés par une brigade canine ont, pris place dans l'habituelle piste d'athlétisme, ou du moins ce qui y ressemble. À vue d'œil, il semblait même que ce cordon de sécurité, mi-humain, mi-animal, était doublement présent devant la partie algérienne. Cela n'a, pourtant, guère dissuadé nos compatriotes de donner une “leçon d'assourdissement” à leurs rivaux. À chaque fois que la moitié de terrain égyptienne s'essayait au chant en chœur, la partie algérienne la “noyait” par l'entremise de refrains à la mode, tel l'indémodable “One, two, three, viva l'Algérie”, ou encore “Incha'Allah ya Rabbi, l'Algérie qualifiée”. Comme elle était constituée dans sa majorité de Soudanais, venant donner un coup de main à leurs voisins du Nord, la tribune égyptienne s'essoufflait presque instantanément. Il n'en fallait pas plus pour donner encore plus de tonus, de courage et de motivation aux nôtres, au point de dégoupiller plusieurs fumigènes qui ont apporté plus de magie à l'extraordinaire ambiance qui prévalait déjà. “Egyptiens, ouvrez plutôt le terminal de Rafah !” Il n'était pourtant que 17h50 heure soudanaise (15h50 algérienne) ! Rivalisant d'ingéniosité, les supporters algériens ne se sont, en outre, guère privés de toucher au politique. Une énorme banderole sur laquelle était clairement mentionné “Ouvrez le terminal de Rafah !” des inconditionnels d'Aïn Abid, dans la wilaya de Constantine, ont ainsi rappelé aux Egyptiens le soutien indéfectible et jamais démenti de l'Algérie à la Palestine occupée, comme pour piquer les ancêtres des Pharaons, à l'adresse desquels tout le public algérien présent reprocha la “traîtrise” par un très poignant “Oh la honte, ils ont vendu Gaza pour une poignée de dollars !” Pour le plus important déplacement de supporters des Verts de l'histoire de l'Algérie indépendante, ceux qui étaient hier à Omdurman ne se sont guère ennuyés, vivant très certainement l'un des plus intenses rendez-vous de la “cause nationale” hors de nos frontières. Ils étaient d'ailleurs beaucoup plus nombreux qu'à Sfax, lors de la CAN 2004 en Tunisie. 18h11, les joueurs font exploser la Forteresse. Un surnombre dont les cris de joie à la vue des joueurs de l'équipe nationale ont fait trembler la terre sous la Forteresse Rouge. Il était, en effet, 18h11 précise lorsque les coéquipiers de Karim Ziani firent leur apparition à la sortie du tunnel menant au terrain. Il n'en fallait pas davantage pour embraser la tribune algérienne, au propre comme au figuré. Cris de joie, fumigènes et les si célèbres journaux allumés faisant office de torches ont, à ce moment précis, éclairer la fin d'après-midi soudanaise. Devenus subitement de simples spectateurs à cette “fantasia” algérienne, les Egyptiens ne se firent plus vraiment entendre. Une heure et demie avant le coup de sifflet initial de cette si attendue grande et historique explication, les Algériens venaient de gagner une autre partie, celle des tribunes et gradins. Mais cela n'était pratiquement rien devant l'énorme ambiance d'avant-match qui a accompagné l'entrée, de nouveau, des poulains de Rabah Saâdane, sur la verte pelouse de cette Forteresse Rouge. Plus que jamais, le peuple algérien, dont une partie était en “mission Coupe du monde” à Khartoum, affichait son ardent désir de prouver que, même au bout du monde, l'emblème national flottera toujours très haut. Quand bien même dans une Forteresse, rouge soit-elle, verte ou blanche.