Pour son dernier entretien, Bouteflika semble avoir trouvé chaussure à son pays. L'intervieweur du Figaro Magazine aurait pu rivaliser avec le plus qualifié des questionneurs de l'Unique. Dans ce magazine, on n'a pas dû avoir souvent à s'entretenir avec des chefs d'Etat. Périodique qui se distingue par son caractère digest, où le condensé l'emporte sur l'analyse, le superficiel sur le sérieux et l'illustration sur le texte, la formule s'accommode si peu des sujets austères et ne se prête point à l'expression du chef d'un Etat où il se passe des choses si graves. Mais, puisque Bouteflika préfère être lu sous les parasols des plages immaculées de la Côte d'Azur que dans les feuilles de choux nationales… Si le support manque de poids, l'interrogateur ne manque pas de disponibilité ; ce qui peut expliquer le choix présidentiel. Les perches sont généreusement tendues, comme dans cette question : “Pendant des années, les pays riches demandaient aux pays africains plus de démocratie, plus de transparence et plus de respect des droits de l'Homme. Dans beaucoup de cas, notamment en Algérie, les gouvernements ont entendu le message. Attendez-vous quelque chose en contrepartie ?” Dans cette devinette, il y a un extrait de révisionnisme néocolonial. Parce qu'en effet, les pays riches — entendre ici la France — n'ont rien demandé à leurs partenaires africains. Ce n'est tout de même pas en y envoyant Bob Denard, Alfred Sirven et le fils Mitterrand qu'on comptait y promouvoir la démocratie et la transparence. Merci Voltaire, mais la France des intérêts, on n'en attend aucune “compréhension” comme le concède inutilement notre Président. “Notamment en Algérie”, comme le précise l'interrogateur, le peu de démocratie qu'on a acquis, on le doit aux sacrifices des seuls démocrates algériens et des amis européens collectivement et individuellement identifiables. De Paris, d'autres “amis” s'irritaient même de notre perversion occidentaliste alors que le modèle auquel notre religion nous vouait était tout tracé dans le programme du FIS. Autre extrait : “Sur le plan politique, le bilan, depuis le début de votre mandat, est positif.” Après cette sentence, l'élogieux préambule se poursuit par l'énumération des réussites politique, sécuritaire et économique de l'interviewé, avant que ne tombe, enfin, la question-alibi sur la fin de la crise. On comprend la rancune de Bouteflika contre la presse locale et son appréciation pour ses “amis” étrangers : des comme ça, même à El Moudjahid, on n'en fait plus. En voilà encore : “Vous avez, il y a quelques années, eu le courage de dénoncer “l'Etat pourri” et “la mafia des conteneurs”. Vous y avez gagné la réputation de “casseur de tabous”. Quels sont les autres tabous ?” On dirait que le journaliste a sauté de 1999 à 2004. Même le Président, dans une pirouette qui fut aussi un revirement philosophique, illustre ce progrès par le travail de… la presse : “Il suffit de lire les journaux pour s'en rendre compte.” Qui casse donc les tabous ? Son aversion pour la profession locale, un moment contenue pour la cause, nous voilà involontairement réhabilités. Merci, Figaro El-Ousboui'… euh… Magazine. M. H.