Aux temps anciens, dans un village lointain de Kabylie, vivait un homme. Ses journées étaient loin d'être paisibles, et pour cause. La jeune femme et sa mère passaient le plus clair de leur temps à se crêper le chignon. S'il prenait le parti de sa mère, son épouse le traitait de tous les noms d'oiseaux et quand il se rangeait du côté de sa douce moitié, sa mère levait les bras au ciel prenant Dieu à témoin. Pris entre le marteau et l'enclume, le pauvre homme ne savait plus à quel saint se vouer, écartelé entre les deux femmes qu'il aimait le plus au monde. Un soir, après une énième dispute, l'épouse s'écria : “Homme, tant que ta mère sera en vie, nous ne goûterons pas un seul jour de paix. Finissons-en avec elle ! Demain, demande lui de t'accompagner à la forêt pour ramener le bois. Dès qu'elle se penchera, assène lui un coup de hache sur la tête. Et n'oublie pas de me rapporter son foie. Je veux être sûre qu'elle sera bien morte.” Le lendemain, l'homme prit le chemin de la forêt suivi par sa mère. Au moment où cette dernière s'abaissa pour soulever un fagot de bois, il lui donna un violent coup de cognée. Avant de l'enterrer, il préleva son foie, l'enveloppa dans un bout de tissu et le jeta, encore chaud, au fond du capuchon de son burnous. Sur le chemin du retour, il tomba nez à nez sur deux malfaiteurs. En voyant le capuchon, ils pensèrent qu'il était rempli de pièces d'or. L'un deux leva alors sa matraque pour l'assommer lorsque soudain, le foie encore palpitant bondit hors du capuchon et se mit à crier à la figure des deux fripouilles : “Pas touche ! Je l'ai enfanté, il ne m'a pas enfanté, ô fils du mal, ne le tuez pas !” Terrifiés, les deux bandits prirent leurs jambes à leur cou. Quant à l'homme, il se mit à déambuler dans son village en se lamentant : “Ce foie qui m'a sauvé la vie, c'est celui de ma mère que j'ai tuée pour plaire à ma femme.” On raconte qu'il perdit la raison et qu'il erra ainsi comme une âme en peine jusqu'à sa mort. NADIA AREZKI [email protected]