Après l'éclatante victoire de notre équipe nationale de football face à l'Egypte et la communion fantastique de la nation dans le même bonheur, il m'a semblé que, quelque part, on a été étonné de ce dont le football, en vérité le sport en général, est capable en tant que vecteur d'unité et de renforcement des rangs d'un peuple face à l'adversité. Cela, d'abord parce que depuis la mise au placard de la réforme sportive et l'ouverture démocratique aucun de ceux qui prétendent représenter un courant politique, c'est-à-dire une frange du peuple, n'a donné jusqu'à ce fameux 18 novembre de Khartoum ne serait-ce que l'illusion de s'intéresser à la chose sportive. Il est remarquable dans ce sens que, dans un pays dont plus de la moitié de la population a moins de 30 ans, on continue à croire que le sport est un simple amusement de foules et que tout le sérieux de la crise sociale et économique que nous vivons est seulement politique. Les raisons essentielles du déclin du mouvement sportif national sont là, dans cette mentalité “dépassée” parce que, à l'instar des autres secteurs, le sport ne peut évoluer sans une intégration sérieuse au cadre général d'une politique cohérente, avec des objectifs précis et la mise en place de moyens à même de permettre à ce sport d'atteindre ses objectifs. À ce sujet, il est bon de rappeler que, conscients de l'impact du sport sur le monde de l'économie et de la politique, ainsi que du modèle que constitue le sportif et des repères idéologiques qu'il établit pour la jeunesse, les gouvernements des actuelles puissances sportives se sont attelés, avec toute la rigueur et la conscience nécessaires, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, à mettre en place des structures multiples et des conditions fondamentales à même d'assurer à l'acte sportif l'épanouissement et le succès, autant sur le plan national qu'international. C'est ainsi qu'aujourd'hui aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, les élites sportives sont le fruit de toute une politique de détection, d'apprentissage, de formation et de perfectionnement, engagée avec tous les moyens essentiels en direction de l'enfant à partir de sa première année préscolaire et jusqu'à l'université. Dans ces continents, l'athlète de performance est le produit, non pas de clubs professionnels “bidon”, mais bien plus des grandes écoles et des instituts spécialisés. “De la culture de ratages monumentaux à celle de l'humiliation à grande échelle” En Algérie, une telle volonté politique axée sur la formation de la jeunesse et le développement de l'action sportive avait été matérialisée par le code de l'EPS qui exprimait une démarche, traçait des objectifs, définissait les droits et les devoirs du pratiquant, garantissait à l'athlète les moyens de sa progression, assurait à l'association son cadre d'évolution, etc. En clair, si notre sport, notre football, en particulier, a su atteindre son niveau compétitif des années 1980, ce n'est que parce qu'il a pu trouver dans l'engagement du pouvoir politique et financier le soutien qui lui est nécessaire et qui conditionne sa progression. Une telle politique en faveur d'un secteur autant sensible que celui de la jeunesse et du sport a été abandonnée au lendemain d'octobre 1988 sans qu'aucun palliatif de rechange n'ait été installé. Plus grave encore, l'école en état de déperdition, l'université en insuffisance chronique d'imagination et d'initiative, l'APC en situation de catharsis grave se sont surtout superbement signalées par une démission coupable vis-à-vis de l'éducation et de la formation sportives. Et c'est ainsi que l'Algérie – tombeur de l'ogre allemand en 1982 – s'était trouvée reléguée au rang de pays qu'on élimine au premier tour des premières éliminatoires d'un quelconque tournoi régional sans aucune audience. Pratiquement, depuis la Coupe d'Afrique de 1990 et jusqu'à l'actuelle “bande” à Saâdane, chaque année et coup sur coup, cadets, juniors, espoirs et équipe nationale mordaient la poussière face à des adversaires qui, quelque temps auparavant, auraient été heureux de s'en tirer à moindre frais ou sans trop de casse. Après la culture des ratages monumentaux comme celui du Mexique, le football algérien entamait celle de l'humiliation à grande échelle. La jeunesse a besoin de héros Les raisons de la violence dans le stade et hors du stade sont, entre autres, dans ce déclin du mouvement sportif national. En effet, la réaction violente d'un jeune qui vient d'assister à une rencontre de football avec la désagréable impression d'avoir assisté à une course de chevaux de labours est en quelque sorte une prise de position faite d'impuissance et de désespoir face aux pratiques maffieuses des dirigeants de clubs et les salaires faramineux alloués à des joueurs dont le niveau de compétition ne dépasse pas celui d'une banlieue d'une ville européenne. C'est bien là un message de désespérance en direction du pouvoir politique en vue d'un assainissement de l'environnement sociopolitique et la remise sur les rails du sport national selon des normes mieux en conformité avec la philosophie sportive, la morale et les exigences de la performance. Et tant que l'on n'aura pas compris que le comportement d'une jeunesse n'est, ni plus ni moins, que la résultante de l'environnement sociopolitique dans lequel évolue cette jeunesse, on ne fera que favoriser le développement d'un terreau de déviations dangereuses dont les conséquences sont déjà désastreuses dans le quotidien de l'Algérien. Assurément, quand un “pouvoir” est absent, ou démissionnaire de sa mission de formateur, alors les manipulateurs de toute espèce s'engouffrent dans la brèche laissée ouverte pour prendre le jeune et le jeter en pâture à la mort. Tant qu'on n'aura pas compris que la jeunesse a besoin de héros à qui s'identifier, des performances et des exploits des jeunes qui la représentent, il faudra s'attendre toujours à ce que les sorciers et les apprentis sorciers continuent à attirer dans leurs traquenards cet immense potentiel de bruit et de fureur qu'est précisément la jeunesse. Saâdane ou les raisons d'un retour Cet impératif d'urgence et de haute stratégie en vérité, Mohamed Raouraoua et ses plus proches collaborateurs semblent l'avoir bien assimilé. D'abord, en se défaisant d'une vison étriquée du nationalisme bon marché qui a conduit bien des fois à de “sanglantes” batailles autour de l'appel ou non-appel des professionnels résidant en France, notamment. Ensuite, en décidant de puiser sans complexe aucun dans le potentiel immense des joueurs algériens évoluant hors des frontières nationales. Le résultat ne s'est pas fait trop attendre avec la mise sur orbite d'une équipe nationale performante et même de niveau mondial. Mieux encore, le retour à la barre de Rabah Saâdane est porteur d'éléments d'information de bon augure pour ceux qui connaissent les “secrets” du football national. Ayant conduit l'équipe nationale au Mondial de 1986 au Mexique, Saâdane s'était dit “soulagé” le jour de son éviction : “J'ai appris la nouvelle avec beaucoup de plaisir, tant je n'en pouvais plus… Une multitude de personnes était là, dans le noir, et n'était intéressée que par les voyages et les avantages que procure une participation de l'EN à une compétition internationale. Par leur présence inutile, et parce qu'elles savaient qu'elles étaient inutiles, ces personnes œuvraient à déstabiliser l'équipe en semant la discorde. Quand il existe un seul pôle de décision, quand au niveau de ce pôle, il y a un responsable de haute compétence, alors là, les choses sont claires et les tâches parfaitement définies. Mais dès que ce pôle de décision n'existe plus, l'entraîneur ne sait plus à qui se fier et se trouve sujet à toutes sortes de pressions. La sélection de tel ou tel autre joueur ne devient plus une question de talent ou de performance, mais une simple question de “connaissances bien placées, d'injonctions, d'ordres n'ayant rien à voir avec le football ni avec les intérêts ou les objectifs d'une équipe”. En conclusion, si Saâdane est de retour à la barre, c'est qu'il y a un seul pôle de décision, un responsable de haute compétence, les choses claires et les tâches parfaitement définies. Nécessité d'un assainissement de l'environnement sportif Reste maintenant à penser l'avenir, et beaucoup d'observateurs se sont posés à bon escient la question de savoir si le pouvoir politique serait capable de fructifier le capital “mobilisation” réalisé par l'équipe nationale. La réponse est simple : Raouraoua, ses plus proches conseillers, Saâdane et sa bande de gamins ont posé les premiers jalons d'une résurrection de notre football national. Nous avons besoin de plus, une autre vision, une autre philosophie, une autre morale, une autre science à même d'insuffler une nouvelle méthode de gestion et une autre démarche en mesure de sauver les clubs de tous les drames que leur font les margoulins et les bricoleurs. C'est la condition incontournable d'une remise sur orbite du sport national. Et ce n'est qu'à l'issue d'une refondation totale, axée essentiellement sur la généralisation de la pratique et l'élévation du niveau technique, une redéfinition des objectifs et des moyens, un assainissement de l'environnement sportif et sa mise hors de portée des trabendistes, des sans-science et sans-conscience. On pourra par la suite parler d'élite, d'encadrement de haute compétence et de participations glorieuses aux compétitions internationales. En ordonnant une mobilisation gigantesque des hommes et des moyens pour concrétiser les succès de l'équipe nationale, le président de la République a livré un message sans équivoque et sonné le coup d'envoi d'une nouvelle ère. Aux autres, à tous les autres, de continuer l'œuvre.