Photo : S. Zoheir Par Samir Azzoug Comme si le peuple avait subi une thérapie de groupe, les esprits semblent apaisés. Les montées d'adrénaline successives que les Algériens ont subies durant les deux face-à-face entre l'équipe nationale de football et l'Egypte, la réaction surréaliste des autorités, médias et artistes du pays défait ainsi que la formidable mobilisation qui a entouré, telle une aura, l'équipe des Verts ont adouci le climat social en Algérie. «C'est comme un lendemain de noces. Le jour même, on danse, on est euphorique mais on ne réalise pas vraiment ce qui se passe. Et pendant une semaine encore, on ne prend pas toute la mesure de la chose. C'est plus tard que les idées s'éclaircissent et que le véritable bonheur (ou malheur, c'est selon) est apprécié. Dix jours plus tard, je commence juste à me remettre de mes émotions et de comprendre que l'Algérie participe à la Coupe du monde de football», confie Taha, vingt-cinq ans. Après le suspense précédant la rencontre au Caire le 14 novembre dernier, la colère de voir les représentants du sport national et les supporters agressés dans la même ville, la rage au ventre et l'envie de se venger refroidie par le bon accueil des autorités et du peuple soudanais, la joie de l'éclatante victoire à Oum Dourmane ainsi que la jubilation de voir les héros du peuple défiler à travers les rues est venu le temps du spleen. L'Algérien s'est réconcilié avec lui-même. «On a prouvé au monde notre attachement à l'Algérie. Des quatre coins de la planète, nos concitoyens, émigrés de première, deuxième, troisième ou énième génération ont surgi dans les rues, exhibant fièrement leur appartenance à ce pays», se réjouit Ben-Youcef, un quadragénaire en burnous, installé à la terrasse d'un café à Djendel (18 km de Khemis Miliana). «L'algérianité est un composant qui transite dans le sang des enfants de ce peuple. Il se transmet d'une génération à une autre. On a beau être né à l'étranger, y avoir vécu toute sa vie, il suffit que l'un des aïeux soit algérien, et, un beau jour, pour une raison ou une autre, le composant se réveille et l'individu ‘‘contaminé'' se sent appelé par sa terre», renchérit son voisin de table. Depuis le 12 novembre dernier, date à laquelle le bus transportant les joueurs de l'équipe nationale de football a été caillassé au Caire, le composant «magique» a connu une sécrétion record provoquant une «compatriotite» aiguë chez l'Algérien. La fièvre qui en a découlé a chauffé les grandes villes d'Algérie et d'ailleurs. L'image du chercheur algérien plantant le drapeau national au pôle Nord en est symptomatique. A propos du degré de mécontentement des citoyens algériens face à la «machine de haine» actionnée par les autorités, les médias et les artistes égyptiens contre tout ce qui est cher à l'Algérie, après leur défaite au Soudan, les jeunes rencontrés dans différentes villes du pays répondent par le sarcasme et la dérision. «La réaction des Egyptiens m'a rassuré. Moi qui croyais que ce peuple était mort après les sempiternelles attaques contre Ghaza, l'accueil incessant des délégations israéliennes sur son sol et l'allégeance aveugle de ses dirigeants aux Etats-Unis, voilà qu'il donne de ses nouvelles. Pour une mauvaise cause, mais ce n'est pas grave. L'essentiel, c'est qu'il soit en vie», plaisante Noureddine. «Ils n'ont pas de ‘‘nif'' [sens de l'honneur]. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir le sphinx à Gizeh, il n'a perdu que son nez», ricane Abdellah, heureux de cette trouvaille. «Le lendemain de la rencontre du Soudan, je n'ai pas fermé l'œil jusqu'à trois heures du matin. J'étais ulcéré par ce qu'émettaient les chaînes satellitaires égyptiennes. Je ne croyais pas qu'on pouvait, à ce point et sans retenue, tomber dans le vulgaire. On nous a traités de tous les noms, on a sali notre image, notre histoire et nos symboles. Le summum de la colère m'a pris quand on a insulté nos martyrs, je ne pouvais plus me retenir, j'ai essayé d'appeler le lâche présentateur, mais on n'a jamais décroché de l'autre côté», peste Abdellah. «Laisse-les faire, ce sont des pleureuses. L'essentiel c'est qu'on les a battus au football et dans tous les autres domaines. Ils me font pitié», lui répond Noureddine. A Sidi Moussa, à vingt kilomètres de la capitale, les discussions tournent autour du même sujet. «Les Egyptiens se redécouvrent pharaons. Ils sont fiers de leur passé de tyrans. C'est étonnant pour un pays qui se dit leader du monde arabe de s'identifier dans une civilisation morte !» s'exclame Adel. «Il faut les ignorer. Ce qu'ils disent est à usage interne. Nous sommes bien au-dessus de tout cela. Qu'est-ce qu'ils ont apporté au monde arabe, mis à part la danse du ventre ? Quant à leurs navets télévisuels, c'est à cause d'eux que j'ai détesté l'ENTV», rétorque Issa. Les discussions vont bon train et les avis sont partagés. Ami Salah, un quinquagénaire professeur d'université va jusqu'à remercier les Egyptiens pour la campagne médiatique haineuse. «Ils nous ont unis [le peuple algérien]. On a redécouvert l'amour de la patrie grâce à eux. L'Algérien est fier et il l'a prouvé par son comportement ces dernières semaines. C'est sans précédent. Les gens semblent sereins et apaisés. C'est une grande victoire après les malheurs qu'a subis ce peuple.» Depuis le 18 novembre et la qualification des Verts pour le Mondial sud-africain, on ne parle plus de harraga, les manifestations de colère dans les rues se font rares et les regards «de travers» ont changé. «Maintenant que nous avons prouvé notre attachement à l'Algérie, nos responsables doivent agir pour maintenir cet amour. C'est le moment où jamais de fédérer toutes les forces de la nation. Ne nous décevez pas», conclut Ami Salah sous le regard approbateur des jeunes du quartier.