Face à un déficit qui serait dû à un parc croissant de climatiseurs et à un freinage des investissements en centrales, la Sonelgaz nous propose d'éteindre une ampoule de 100 W par foyer pour nous éviter le délestage. N'aurions-nous que le choix entre le noir à s'imposer dans une pièce de la maison et le noir total et intermittent imposé par la société de l'énergie ? Pour chaque ampoule à incandescence de 100 W, seulement 5% de l'énergie consommée sert à éclairer et 95% de cette énergie est rejetée dans l'ambiance sous forme de chaleur à faire évacuer en période de canicule ! Elle peut, aujourd'hui, être remplacée par une lampe basse consommation (LBC) de 15 à 25 W qui a une efficacité lumineuse de 60 lumens/watt, 4 à 5 fois mieux que l'ampoule classique. Par conséquent, la consommation d'une seule ampoule de 100 W correspond à celle de 4 ou 5 points lumineux équipés en lampes “basse consommation”. Bien sûr, mieux vaut toujours éteindre toutes les lampes inutiles, mais si l'on voulait recourir plus largement aux lampes à basse consommation, et aux autres appareils plus efficaces, éviter les délestages serait plus facile. On pourra même exporter à nouveau. Commençons par informer le consommateur que ce ne sont pas les watts qui éclairent mais les lumens ; que pour le même volume, il y a des réfrigérateurs qui consomment trois fois moins que d'autres. Il faudrait vite mettre en place une stratégie pour diminuer la part de l'ampoule à incandescence dans le marché algérien, avec une combinaison de bonne communication, de réglementation sur l'étiquetage des produits, et de mécanismes financiers simples. Le coût des lampes à basse consommation est élevé — environ 1 000 DA chez les revendeurs— et le niveau des revenus des ménages est bas, pour la plupart des cas. Le Fonds de maîtrise de l'énergie pourrait financer l'achat des lampes pour les mettre à la disposition des usagers, en répartissant leur coût sur quelques factures Sonelgaz. Ce serait tout de même pas plus conforme à la mission de Sonelgaz que de collecter la redevance TV. Et faire de même, pour étaler le coût d'achat d'un réfrigérateur performant, dès qu'ils seront produits par l'Eniem ou importés. Tout cela permettra assez rapidement de réduire la part de consommation dans les factures Sonelgaz des ménages, et aussi la demande en pointe du soir, et donc le besoin de délestages. En outre, on apprend par les responsables de la Sonelgaz que la courbe de charge globale a connu une augmentation de 11% en un an, causée par l'utilisation massive des climatiseurs durant l'été. Il est vrai qu'avec “l'ouverture économique”, des importateurs en tout genre se sont improvisés spécialistes du froid et ont inondé le marché algérien de climatiseurs monobloc et de split-system (climatiseur en deux parties, intérieure et extérieure à la pièce). En Europe et aux Etats-Unis, il y a souvent une réglementation imposant des performances, mais là où on ne le demande pas, à l'export, les fabricants ne l'imposent pas et au contraire proposent des équipements obsolètes, moins chers mais gaspilleurs. Ce qui explique, en partie, le phénomène de mode qu'on observe en Algérie et surtout dans les grandes villes du pays et qui consiste à équiper des bâtiments à usage de bureaux (comme l'APN, le Sénat, les ministères, les banques, les compagnies d'assurance) en split-sytems avec télécommandes pour permettre aux employés de ces administrations de régler la température des bureaux en fonction de la physiologie de chacun. Or, il est connu depuis plusieurs décennies que les systèmes centralisés sont moins consommateurs d'énergie et plus adaptés pour les bâtiments à usage de bureaux. Il serait plus cohérent et dissuasif de ce gaspillage que les administrations ayant choisi la climatisation individuelle subissent prioritairement les coupures d'électricité ou une taxe qui alimenterait le fonds de l'énergie pour avoir encombré le réseau. Ou bien que l'on pose des compteurs par service, et que les factures Sonelgaz soient déduites des budgets de fonctionnement de chaque service. Il y a aussi risque que les délestages prolongés incitent les consommateurs à s'équiper de groupes électrogènes comme on s'est équipé de citernes d'eau ces dix dernières années. Par ailleurs, les délestages ont des effets pervers : à la coupure, on oublie d'éteindre les lampes qui étaient allumées, à la remise sous tension d'un quartier, tous les équipements sont remis en marche en même temps, ceci créant des pointes. En période de canicule, chacun va tenter de compenser en surchargeant son congélateur de récipients d'eau pour avoir de l'eau glacée pendant les longues périodes de coupure de courant. Résultat : ceci augmentera la consommation d'électricité des appareils de froid des ménages et aggravera le déficit et donc les délestages. Finalement, face au manque de production de l'électricité, le délestage fait entrer dans un cercle vicieux d'aggravations. Mieux vaudrait la mise en place urgente, raisonnée et pratique, d'une stratégie de maîtrise de la consommation d'électricité. Cette dernière passe par la connaissance de la part de chaque équipement dans la consommation de kWh et dans les appels de puissance, formant la courbe de charge globale par heure et par saison. À ce titre, le suivi de la consommation d'électricité de quatre ménages à Alger, en novembre dernier, a montré que le froid domestique (réfrigérateur et congélateur) représente 43% de la consommation globale d'électricité, tandis que la part de l'éclairage est de 24% et celle de l'audiovisuel de 14%. Pour ces logements, le principal gisement d'économie d'énergie est le froid domestique. Ces résultats ne peuvent être généralisés à l'échelle nationale. Il serait donc nécessaire de mener des campagnes de mesure sur un plus grand nombre d'abonnés pour hiérarchiser les consommations de l'électroménager et évaluer les potentiels de réduction pour plus d'efficacité des appareils. Toutefois, cela ne nous empêche pas de commencer à sensibiliser les consommateurs à la réduction de leur consommation d'électricité, en les informant par exemple qu'un téléviseur nous coûte cher même pendant qu'il est éteint, car la veille de l'appareil (la petite lumière rouge) consomme parfois 15W/heure. En veille pendant 21h par jour, l'appareil consomme 315 Wh par jour — soit près de 115 kWh par an — alors qu'il est éteint contre seulement 240Wh par jour pendant les trois heures d'utilisation (88 kWh/an). Il suffit d'un interrupteur entre la prise et la TV pour éviter ce gaspillage. Ce type d'information facile à diffuser au grand public réduira à la fois la facture des ménages et la courbe de charge globale. Quant à la réduction de la consommation due au chauffage et à la climatisation, l'application d'une réglementation thermique adaptée à chaque zone climatique du pays, et la formation adaptée des architectes et entreprises, nous permettraient de profiter au maximum du soleil l'hiver et de faire évacuer les grandes chaleurs d'été par des méthodes que nos aïeuls ont su si bien concevoir et appliquer (ouvertures, matériaux, orientation, protections, aération…). Il est grand temps que la notion de construction bioclimatique soit introduite dans les cours de nos écoles d'architecture au lieu d'en faire le privilège de quelques ateliers uniquement. Faisons vite : que des équipements performants soient mis sur le marché algérien et que soient réduites la roduction et l'importation, en attendant leur bannissement, d'équipements énergivores. Face au “déficit” de production d'électricité, mieux vaut freiner le gaspillage des kWh produits, sans priver les ménages des acquis du XXIe siècle. Y. S.