Implication de l'administration, manipulation des notabilités locales, menaces de représailles, tout est permis pour assurer la réussite des sorties du Président. “Vous allez voir ce que vous allez voir ! Vous aurez plein de surprises !” C'est en ces termes que Saïd Bouteflika, le tout-puissant frère-conseiller du président de la République, a commenté la prochaine campagne électorale pour la présidentielle de 2004. Interrogé par nos soins à Mascara, où son frère le Président effectuait une visite de “travail et d'inspection”, dimanche et lundi derniers, Saïd Bouteflika a répondu en substance que “la campagne pour la présidentielle n'est pas encore entamée”. Elle ne le sera, selon lui, qu'“en février prochain”. Et toute cette précampagne ? “Mais là, vous n'avez encore rien vu”, a-t-il répondu tout en précisant que le cercle présidentiel est formé de “gens qui ont l'avantage d'être infatigables” quand ils travaillent. C'était à l'occasion de la pose de la première pierre pour la réalisation d'un institut des sciences et de la technologie de 1 000 places, à l'université de Mascara. Dans cette enceinte universitaire, on affichait clairement les objectifs de la visite présidentielle, puisque l'organisation estudiantine ONEA paraphrasait dans une de ses banderoles le Président : “Je ne veux pas être un trois quarts de Président et je ne veux pas être mis devant le fait accompli.” Saïd Bouteflika était très courtisé. Il était approché, en effet, par beaucoup de personnes. Le chargé de la communication de la wilaya de Mascara, M. Hakiki, a même tenu à le rassurer en ces termes : “Dites au Président qu'on le soutient. On l'a soutenu hier et on le soutiendra demain. Je sais que vous ne me connaissez pas, mais moi, j'ai toujours soutenu votre frère.” “Mais il faut le lui dire à lui !”, lui recommande Saïd, le frère du Président. Ce n'était pas la première fois que le frère-conseiller a eu droit à de tels éloges. Tout au long de la visite de Bouteflika à Mascara et à Saïda, le frère-conseiller était adulé par des personnages qui montraient leur disposition à faire allégeance au Président. Mais ce qui a suscité l'étonnement des présents sur place, c'est l'implication directe du RND dans la visite présidentielle. Miloud Chorfi, certes député de Mascara, mais surtout porte-parole et président du groupe parlementaire de ce parti, avait expliqué aux confrères qui l'interrogeaient que “le RND apporte son plein et total soutien au président de la République”. Cette déclaration exprimée avec fougue a été faite devant Saïd Bouteflika lui-même. Toutefois et devant la stupéfaction des journalistes par rapport à cette prise de position tranchée, Chorfi concédera que “le RND soutient le Président jusqu'en 2004”. “Vous voyez ces gens-là, ils sont tous du RND”, a-t-il enchaîné en désignant des responsables locaux venus accueillir le président Bouteflika. Chorfi fait mine d'oublier, cependant, que Mascara est une wilaya à majorité FLN et qu'elle ne compte qu'un seul député RND et peu d'élus locaux de ce parti. Cette implication du RND a été également remarquable dans la wilaya de Saïda, où le siège de ce parti était armé d'une banderole souhaitant la bienvenue au Président. Un communiqué reprenant des formules de bienvenue au chef de l'Etat avait même été distribué à la population de cette wilaya. Mieux, l'Organisation nationale des enfants de moudjahidine (ONEM), réputée être proche du RND, puisque présidée par un membre du bureau national de ce parti, Khalfa M'barek, exprime clairement son soutien au Président : “Le peuple te réclame pour un second mandat”, pouvait-on lire sur une banderole de l'ONEM. Il faut dire, par ailleurs, qu'à l'occasion des périples du Président, la présence des comités de soutien à Bouteflika était remarquable. Boudali Benyahia, le coordinateur de ces comités de soutien s'était même permis une présence dans la haie d'honneur devant accueillir le président de la République dans la commune de Sig, à Mascara. D'aucuns avaient trouvé sa présence injustifiée. Mais la raison de la présence de ses comités de soutien était claire : ce sont eux qui préparent les sorties du Président au niveau des wilayas visitées. Comment ? En mobilisant la population devant permettre au chef de l'Etat d'avoir ses bains de foule. Pour ce faire, les comités de soutien multiplient les rencontres avec les notables de chaque wilaya pour s'adjuger la mobilisation de la population le jour J, moyennant, bien sûr, de l'argent. C'est ce que nous ont appris des sources locales qui soulignent l'implication de l'administration dans cette opération. Cette implication de l'administration est illustrée par l'attitude du wali de Mascara, Abderrahmane Kadid. Ce dernier s'est distingué en instruisant le chef de daïra et les responsables locaux de sa wilaya via une note écrite de “mettre à la disposition de l'association El-iza wa el-karama (cette dénomination reprend le slogan de campagne de Bouteflika en 1999, Ndlr) qui fait campagne pour le Président tous les moyens humains et matériels”. Ce wali est même allé jusqu'à menacer les responsables au niveau des APC de “réduire considérablement les budgets alloués à leurs communes si jamais ils ne s'impliquaient pas dans la promotion de la candidature de Bouteflika”. “Tous les moyens financiers seront mis à votre disposition”, aurait dit M. Kadid tout en confiant que l'argent “est disponible”. Cette disponibilité des moyens financiers a d'ailleurs été déclarée publiquement par le président Bouteflika, lors de ses tournées à l'intérieur du pays. Au cours de sa visite à Sétif, le 21 juillet dernier, le Président avait répété à satiété à des responsables venus lui présenter des projets : “Si vous parvenez à utiliser l'argent qui vous est destiné, vous en aurez encore davantage après.” La preuve de cette disponibilité de l'argent s'illustre à travers l'importance des enveloppes budgétaires accordées aux wilayas visitées : Sétif a bénéficié de 600 milliards de centimes, Djelfa de 450 milliards de centimes, Saïda de 537 milliards de centimes, Mascara de 525 milliards de centimes et, auparavant, une enveloppe de 550 milliards de centimes avait été allouée à Constantine. Mais cette disponibilité de l'argent n'a pas suffi pour mobiliser les foules. Le président Bouteflika a eu d'ailleurs à le vérifier à ses dépens lors de ses tournées. Désaffection populaire, “importation” du public, citoyens en furie ou alors des bains de foule au milieu des enfants. Mais d'où provient l'argent qui sert à alimenter les promoteurs de l'image du Président ? Des sources proches de l'exécutif de la wilaya de Mascara affirment qu'il provient de “l'enveloppe budgétaire allouée par le Président à l'issue de ses visites dans les wilayas”. Une réponse qui n'en est pas une en fait. Ces enveloppes budgétaires faramineuses qu'on désigne par le terme “spéciales” n'ont aucun rapport avec le plan de relance économique. Elles sont décidées le jour même des visites. C'est le ministre de l'intérieur Yazid Zerhouni qui l'a déclaré à la presse, lors de la conférence qu'il a animée mardi dernier, à Saïda. “Ce sont des enveloppes budgétaires supplémentaires décidées après l'inventaire des besoins de chaque wilaya et qui n'ont aucun rapport avec le plan de relance économique”, a-t-il déclaré tout en précisant que leur montant a été décidé “en concertation avec le wali et les élus locaux”. Cela contredit, cependant, les déclarations des élus locaux qui ont dénoncé, la veille de la visite de Bouteflika à Mascara, leur “marginalisation” des préparatifs de la visite du Président. “On ne connaît pas le programme de la visite, les responsables de la wilaya nous tiennent à l'écart de tout ce qui concerne cette visite”, nous ont-ils confié. Ce qui est plausible d'ailleurs, puisque même les ministres accompagnant le Président sont triés sur le volet : Yazid Zerhouni, Saïd Barkat, le ministre de l'agriculture, Rachid Harraoubia, ministre de l'enseignement supérieur, Chakib Khelil, ministre de l'Energie. Tous les ministres qui s'opposent à la candidature du Président sont systématiquement absents de ses visites. À commencer par les ministres FLN qui ont eu à le vérifier à plusieurs reprises. La dernière en date concerne l'absence de Abdelmadjid Attar, ministre des Ressources en eau, lors de la visite de Mascara et de Saïda alors que ces deux wilayas souffrent d'un grave manque d'eau comme ont tenu à le dire à haute voix leurs populations respectives. N. M. Il l'a dit, il l'a fait… Depuis l'entame de ses visites à l'intérieur du pays, d'abord comme candidat puis comme chef de l'Etat, que n'a-t-il pas dit ou fait qui soit indigne de l'institution qu'il représente. De “n'wari l'houm ezembaâ win yetbaâ” à son dernier “manich Rabbi” (je ne suis pas Dieu) de Mascara, lundi dernier, ou encore à son fameux “yaâtiw l'na f'nadjel Meriem” dédié à nos voisins du Maroc, le président Bouteflika n'a cessé de donner de lui-même l'image d'un homme qui ne répugne pas à se départir des réserves dues aux fonctions supérieures qu'il occupe depuis avril 1999, quitte à déprécier, aux yeux des citoyens, l'institution présidentielle elle-même. Mais la plus remarquée de ses sorties reste sans doute celle du 6 juin 2000 à Oran. À cette occasion, le président avait piqué une colère mémorable contre un enseignant universitaire venu lui exposer les problèmes de logement dont se plaignait sa corporation. Bouteflika n'avait pas hésité à empoigner l'enseignant, à le secouer violemment, avant de le prendre par le col de la chemise et lui crier : “ça ne vous plaît pas les F1 ? D'autres ne rêvent même pas d'un F1 ou d'un F2 !” Une attitude tout juste digne d'un mauvais petit fonctionnaire du coin, comme il s'en trouve des tas dans nos administrations. Le même jour, et plus précisément au siège de l'APC d'Oran, le président perd encore son sang-froid et entre dans une colère indescriptible face à un banal problème de sonorisation. Le président arrache le micro et le jette violemment à terre tout en criant : “Jetez-moi ça !” Mieux, il exige de ses services de sécurité de faire sortir les journalistes présents et de “récupérer tous les enregistrements”. “Je les veux tous”, a-t-il martelé tout en accusant la presse d'être “la source de tous les maux du pays”. Parce qu'un micro n'a pas fonctionné ! C'est ainsi que celui qui promettait de réhabiliter l'image du pays à l'étranger a fini par gâter la sienne, en même temps que celle de toute l'institution présidentielle, aux yeux des citoyens qui ne voient plus en le chef de l'Etat qu'un “mes'oul” qu'on peut accueillir à coups de savates ou de jerricans vides. N. M.