Deux soirées, quatre formations et des spectacles d'une grande et rare beauté. Une beauté troublante à l'état brut, notamment avec la prestation de l'ensemble Tarab qui a mis quelques grammes de poésie dans un monde qui en est parfois dépourvu. Le Festival international de musique andalouse et des musiques anciennes se poursuit à la salle Ibn Zeydoun, avec des spectacles magiques de formations algériennes et étrangères. Après une soirée moyenne, mercredi dernier, où s'étaient produits l'ensemble Inchirah de Constantine et les deux guitaristes français Dimitri Puyalte et Cristobal Corbel, la soirée de jeudi a été magistrale. La première partie a été animée par l'ensemble de Testour. Venues tout droit de Tunisie, les onze voix masculines qui composent cette formation ont subjugué le public avec des chants profonds inspirés des chants liturgiques de la tariqa Al-aïssawiyya. Ils ont agrémenté le public de Naourat et-touboue, où ils ont revisité les sept modes de la musique andalouse appelée également musique savante. Les voix des interprètes se sont divinement bien mêlées aux sons des percussions. Hormis celles-ci, il n'y a pas d'autres instruments. De plus, l'ensemble de Testour, dirigé par Mohamed Jridi et Fethi Feriani, a été fondé au XVIIe siècle par les morisques chassés d'Espagne. Il est donc authentique et, simplement par la voix, il tend à créer une atmosphère, voire une aura. Méditatifs et profondément ancrés dans la tradition, les chants de l'ensemble de Testour sont authentiques, bruts (dans le sens noble du terme) et très hilarants. Cette formation a ensuite remis un cadeau à la ministre de la Culture présente dans la salle : un tableau représentant le minaret de Testour. Sans aucune transition, n'était la présentation fort éloquente de Rachid Guerbas, le commissaire du Festival, la deuxième partie de la soirée a été animée par l'ensemble Tarab d'Iran. Au croisement des générations, celle d'avant et d'après la révolution islamique, le groupe composé de quatre musiciens et d'une chanteuse à la voix divine, ont revisité les chants anciens et profonds de la tradition musicale persane. Et bien évidemment, nous avons eu droit à deux instruments emblématiques de la musique iranienne : le sentür qui ressemble au qanoun mais qui se distingue de cet instrument par des cordes frappées et le jeu sur un seul mode ; mais aussi à l'instrument appelé sitar qui est un instrument à trois cordes avec deux caisses de résonance. L'obstacle de la langue qu'on ressort à chaque fois n'était pas d'actualité jeudi soir, puisque simplement par la musique et par la voix triste et mélancolique qui a résonné très haut dans la salle, il a réussi à transporter l'assistance vers les contrées lointaines de la Perse ancienne. Cette interprétation sobre et tout en retenue a été troublante par sa beauté. Une beauté naturelle, brute et spontanée. Une beauté rare avec une émotion vraie et contenue. On sentait les artistes oppressés, et comme si ce chant venu tout droit de l'Iran très souvent blessé, pouvait les libérer. D'ailleurs, à un moment du concert, la chanteuse, Sarang Seyfizadeh, a fondu en larmes, ce qui a densifié et intensifié son interprétation. Ceci a fait son effet sur le public qui a longuement ovationné l'ensemble Tarab, qui a mis un peu de poésie dans un monde de brutes.