Me Aït-Larbi, connu par l'opinion publique nationale et internationale pour être un défenseur des droits de l'Homme et des principes démocratiques, a été désigné par le président Liamine Zeroual, lors du tout premier mandat du Conseil de la nation, dans le tiers bloquant au même titre que d'autres personnalités politiques et de la société civile. Il remettra, néanmoins, son mandat après seulement trois années d'exercice pour des raisons politiques. De son avis, le Sénat n'a plus lieu d'exister, puisqu'il ne sert plus qu'au placement des “amis” en mal de carrière. Liberté : Vous avez fait le premier mandat du Conseil de la nation en qualité de sénateur désigné dans le tiers présidentiel. Quel capital tirez-vous de cette expérience ? ll Me Mokrane Aït-Larbi : En effet, j'ai été désigné comme sénateur par le président de la République pour un mandat de six ans en vertu de l'article 109 de la Constitution. Mais je dois rappeler que j'ai démissionné du Sénat au bout de trois ans pour plusieurs raisons, notamment son rôle négatif pendant les événements du Printemps noir. Je dois dire qu'au bout de trois ans, j'ai acquis une grande expérience. Cette fonction m'a permis de voir de près comment un sénateur peut gagner beaucoup d'argent sans travailler, voyager à l'étranger aux frais du contribuable sans apporter aucune contribution à la délégation, comment il peut être pris en charge dans un hôtel 5 étoiles à plus de 10 000 DA par jour même quand il possède une villa à Alger qu'il peut louer à des étrangers à 100 millions de centimes par mois, comment il peut aussi avoir un prêt de 100 millions sans intérêts, voyager par avion en first… Et en contrepartie, le Conseil de la nation n'a rien donné à la nation. Vous conviendrez que c'est une expérience très riche. Pensez-vous qu'à l'époque de son institution, le Sénat a réellement rempli la mission pour laquelle il a été créé, c'est-à-dire faire barrage à la monopolisation du Parlement par les islamistes ? ll Le pouvoir était tétanisé par les résultats des élections de décembre 1991, ce qui a poussé le constituant à créer la 2e Chambre dans le but de rejeter tout texte voté par une Assemblée nationale hostile au système. Aujourd'hui, une majorité islamiste à l'Assemblée nationale est exclue par la fraude électorale féconde. Quant aux démocrates, ils se sont exclus d'eux-mêmes. De votre avis, est-il utile de maintenir, dans la conjoncture actuelle, la deuxième Chambre parlementaire ? ll Dans la situation actuelle et en attendant la Coupe du monde, le pouvoir n'a rien à craindre. Les islamistes sont neutralisés et les “démocrates” sont domestiqués. Et donc, le Conseil de la nation ne sert plus qu'à placer les amis des chefs par élection ou désignation. Faudrait-il, si les autorités maintiennent malgré tout la deuxième Chambre parlementaire, donner aux sénateurs plus de prérogatives, dont le pouvoir d'amendements ? ll En février 2010, le Sénat fêtera son 12e anniversaire. Peut-on dresser un bilan ? D'abord, il faut rappeler que le Sénat a le pouvoir de légiférer avec l'Assemblée nationale et de contrôler le gouvernement par le biais de questions écrites et orales et de commissions d'enquêtes. Or, à ce jour, le Sénat a adopté toutes les ordonnances du président de la République et la quasi-totalité des textes votés par l'Assemblée nationale. Pire, il n'a jamais interpellé les membres du gouvernement sur les grandes questions telles que l'état d'urgence, les atteintes aux libertés publiques et les grands scandales financiers qui restent sans poursuite judiciaire malgré la dénonciation de certains faits et personnes par la presse. Le Sénat n'a créé aucune commission d'enquête à ce jour et ce ne sont pas les sujets qui manquent. Il faut donc, à mon avis, supprimer purement et simplement le Conseil de la nation qui ne sert qu'à dépenser l'argent des contribuables sans aucune contrepartie pour la nation, ou alors le réformer par la révision du mode de recrutement des membres en réduisant le nombre, en exigeant des critères comme à l'élection présidentielle, le doter du pouvoir de contrôle du gouvernement et du budget de l'Etat et réduire son champ de légiférer où il ne doit intervenir que par les lois organiques et celles qui touchent à la justice et aux libertés. Je pense qu'il est temps de lancer un débat serein sur le fonctionnement de toutes les institutions de la République.