Au sud-ouest de la Jordanie, dans un petit village où vit une communauté chrétienne aux côtés des musulmans, j'ai visité une église appelée Eglise du Prophète Mohammed (QSSSL). J'ai été fasciné, plutôt surpris, par cette appellation qui reflète et dégage l'essence même de la culture de la tolérance et surtout du respect établi entre les gens des Livres, dans ce petit pays fatigué par tout ce qui se passe dans la région. Une église chrétienne prend le nom du Prophète de l'islam. Combien ils sont élevés ces petites gens de ce petit village. En regardant cette maison de Dieu, en méditant sur le symbolique de cette appellation, je me suis dis : en ces jours de guerres et de haines, toutes sortes de guerres et toutes sortes de haines, combien l'être humain a-t-il besoin d'amour, de paix et de respect ? “Vivre ensemble”, au sens philosophique de cette expression, mérite et demande cette ouverture du cœur et d'esprit. Et dans ce petit pays fatigué par tout ce qui se passe dans la région, pays de Petra et du prophète Salah, existe aussi une mosquée qui s'appelle La mosquée de Al Messie Jésus. Cette appellation, hautement symbolique, nous donne une image des gens qui cherchent, sur le terrain, en permanence, à semer la culture de “la fraternité” et de “la cohabitation” des religions et des fois. Nous en avons besoin, toutes religions confondues, les croyants, les non-croyants et laïcs de “faire” la vie ensemble, de la construire conjointement. Je suis convaincu que la culture des fêtes religieuses ou autres, monothéistes ou autres, est capable de jeter les ponts solides entre les peuples, entre les civilisations, entre les langues. Il faut l'avouer. Et il faut l'admettre : nous vivons, en tant que musulmans contemporains, un énorme vide en matière de culture de la fête, culture de la joie. Une pauvreté intérieure. Pourtant, les musulmans, dans leur histoire de quinze siècles, ont cultivé une certaine culture de la joie et de la fête. Les musulmans ne sont pas un peuple morose ou de morosité. En ces jours de sang, de haines et de peur, combien avons-nous besoin de courage afin de réveiller notre culture de l'amour et de la joie. En ces jours de guerres et d'intolérance, combien avons-nous besoin de détermination intellectuelle pour réveiller notre poésie de fêtes, d'espoir et de vie. Essuyer les couches de poussière accumulées sur nos livres d'allégresse et de liberté. Le rôle de nos intellectuels, de nos fékihs et de nos artistes est d'ouvrir la voie libre au lecteur musulman vers les textes de la fête, ceux de la vie et du plaisir. Nous ne sommes pas un peuple renfrogné. Nous ne sommes pas faits de tristesse ou de laideur. À quel point nous avons besoin de relire Al Boukhalaê (les Avars), d'Al Djahiz ? Combien, en ces jours d'épreuve, nous avons besoin de relire Al Imtae wa al Mouanassa (le Délice et l'accompagnement), de Abou Hayyan Tawhidi ? Combien, et pour faire face à cette morosité intellectuelle, avons-nous besoin de relire, et faire lire à nos enfants la poésie d'Omar Ibn Abi Rabiâ, d'Al Bouhtouri ? Lire et relire la poésie d'amokrane achchouâraê, l'émir des poètes maghrébins : Si Muhand U Muhand, celle d'Al Khaldi ou de Belkheir de Malek Haddad ? Depuis la renaissance, depuis un siècle, nous n'évoquons que des choses qui font peur et qui mettent le veto sur le sens du ravissement, sur le rôle du cœur. Basta ! Aujourd'hui, il faut apprendre à nos enfants comment produire et vivre la fête, loin de la violence et du sang. La fête est une force et une création humaine. Savoir faire la fête, c'est savoir faire la vie. Et le peuple qui sait faire sa fête et participe aux fêtes des autres religions et civilisations est un peuple qui avance vers un avenir en lumière. Et parce que la culture de la fête, chez nous, est absente, plutôt assassinée, nos enfants vieillissent vite. Basta ! La littérature, l'art et la religion sont les facteurs qui cultivent chez le citoyen la culture de l'optimisme. Et pour arriver à installer cette culture de la fête et de la vie dans les cœurs et dans les têtes de la nouvelle génération, il faut commencer par bannir nos livres scolaires des textes violents qui célèbrent la mort, la guerre, la peur, la haine, la torture, les linceuls, les tombes, les géhennes, etc. En ces jours où les fêtes se croisent El Mawlid Annabaoui et Achoura avec Noël et nouvel an et Yennayer nouvel an berbère, combien nous avons besoin d'intellectuels courageux, des fékihs, d'écrivains et d'artistes pour lever leurs voix et crier : l'amour et la vie se font en commun ? Et celui qui ne lit pas, ne rit pas. A. Z. [email protected]