La conjonction du décès du très respecté ayatollah dissident Montazeri et la fête de l'Achoura, l'une des plus importantes pour les musulmans chiites, a été une occasion pour l'opposition iranienne de réinvestir la rue pour dénoncer de nouveau l'illégitimité du président Mahmoud Ahmadinejad, dont l'élection a été énergiquement contestée tout l'été, et de crier ses désaccords avec le régime et le guide suprême qui le symbolise, le très puissant ayatollah Ali Khamenei. Cette fin d'année 2009 aura été marquée par des manifestations populaires imposantes, à l'occasion violentes, décriant non seulement le Président, dont l'élection en juin dernier aurait été entachée de fraudes massives, mais aussi l'ensemble du régime et, à travers lui, le guide suprême Khamenei accusé d'avoir choisi, soutenu et protégé le mauvais camp en couvrant et en cautionnant une manipulation généralisée des urnes. La répression a été féroce et des morts et blessés, y compris par balle, ont été enregistrés et les arrestations, qui continuent, se comptent par centaines parmi les rangs de l'opposition. Mais ceci ne constitue pas une nouveauté en Iran, puisque la contestation post-électorale de l'été passé a eu aussi son lot de morts et de blessés ainsi que des centaines d'arrestations, dont certaines des victimes croupissent encore en prison et d'autres condamnées à de la prison ferme, sans compter que des cas de viol et de torture ont été établis et dénoncés par l'opposition. Par contre, les manifestations qui ont marqué cette fin d'année se distinguent par bien des aspects de celles qui les ont précédées. Elles affirment, en quelque sorte, qu'un processus irréversible s'est mis en place et que le régime, traversé par des clivages de plus en plus visibles, ne pourra pas étouffer durablement son opposition, même s'il y met les grands moyens comme c'est déjà le cas. L'opposition s'élargit et se consolide La première remarque, qui n'aura échappé à aucun observateur, est que contrairement à la protesta de l'été, circonscrite à Téhéran et à quelques rares grandes villes, les dernières manifestations ont touché l'ensemble du territoire iranien jusqu'aux cités les plus reculées et les plus modestes. C'est la preuve incontestable que le mouvement d'opposition se consolide et s'enracine. C'est d'autant plus vrai que le mouvement n'est plus l'apanage d'élites militantes, mais s'est popularisé et démocratisé. La majeure partie des foules qui ont protesté contre la fraude après l'élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad était constituée d'étudiants et de femmes. Aujourd'hui, toutes les classes sont représentées et ont pris activement part aux manifestations, y compris la classe travailleuse et les couches les plus populaires. On peut remarquer aussi qu'en juin, les protestataires ont généralement subi la répression sans vraiment réagir, tandis que lors des dernières manifestations, les protestataires ont pris des initiatives et se sont attaqués à l'un des premiers symboles de l'Etat, mais aussi de la répression, en saccageant des infrastructures de la police, considérée comme le bras armé du régime avec la milice religieuse des bassidjis. Certes, sous le poids et la violence de la répression, les rues se sont vidées de leurs manifestants depuis mardi. Mais le mouvement ne s'est pas arrêté pour autant. On apprend, en effet, que toutes les nuits, des milliers de contestataires montent sur les toits de leurs immeubles et scandent le mot d'ordre lancé dès le début des manifestations, “Mort au dictateur !” Ce mot d'ordre est symptomatique de ce que le mouvement de contestation a évolué dans sa vision et ses objectifs puisqu'il ne cible pas le président Ahmadinejad, considéré comme un simple exécutant, mais le guide de la révolution lui-même. Or, jamais personne, depuis l'avènement de la République islamique en Iran, n'a osé remettre publiquement en cause le guide suprême de la révolution et s'en prendre à lui. C'est dire que si en juin, la contestation portait strictement sur le “résultat” de l'élection présidentielle, c'est désormais le régime qu'elle remet ouvertement en cause. En fait, si les évènements de juin s'apparentaient à une révolte née d'une injustice, ceux de décembre ressemblent à s'y méprendre à un début de révolution. Le spectre d'un conflit régional Selon un schéma et un réflexe propres à toutes les dictatures, mais qui manquent terriblement d'originalité et de conviction, le régime des mollahs tente de discréditer l'opposition et de justifier la répression sanglante en invoquant la main de l'étranger. Des dignitaires sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à demander l'arrestation et le jugement des leaders, comme Moussavi et Karoubi, pour atteinte à la sûreté de l'Etat et intelligence avec l'ennemi. L'opinion majoritaire, elle, n'est plus du tout sensible à de tels arguments et les dirigeants de la République islamique le savent. Comme ils savent que l'arrestation éventuelle des deux candidats malheureux à la présidentielle de juin, loin de décourager l'opposition, pourrait mettre le feu aux poudres. Les hommes forts de Téhéran sont conscients que le régime ne fait plus consensus, si tant est qu'il n'ait jamais été consensuel, et que le pays est durablement engagé dans une période durable d'instabilité et de turbulence qui peut l'emporter à terme. Les choses sont allées si loin et les griefs sont si puissants que l'idée même d'une union sacrée derrière le régime est irrémédiablement révolue. Sauf peut-être, et de manière conjoncturelle, en cas d'une agression extérieure qui ferait des victimes civiles. Il se trouve, précisément, qu'au vu du contexte international caractérisé par le bras de fer qui oppose l'Iran aux puissances occidentales sur le dossier du nucléaire, une telle éventualité est loin de relever du simple fantasme. Téhéran souffle le chaud et le froid et refuse de coopérer franchement avec les instances internationales concernées par le dossier. Les pays occidentaux, qui soupçonnent à tort ou à raison les dirigeants iraniens de chercher à se doter de l'arme nucléaire, brandissent la menace de sanctions plus sévères, tout en sachant qu'elles ne seraient de nul effet sur le régime et sa quête de puissance. Dès lors, l'option militaire devient de plus en plus envisageable. D'autant plus qu'Israël trépigne d'impatience et ne demande qu'à bombarder les installations nucléaires iraniennes comme il l'avait fait, jadis, en Irak. Au besoin, s'il n'a pas d'autre alternative pour assurer sa survie, le régime islamiste pourrait être tenté de provoquer une telle agression, qui lui donnerait un précieux répit sur le front intérieur, le temps de reprendre les choses en main. C'est techniquement possible puisque après les essais concluants de ses derniers missiles à longue portée, l'Iran a désormais les moyens d'atteindre l'Etat hébreu. Bien sûr, il ne s'agit que de conjectures. Mais il convient de reconnaître que le statu quo est difficilement envisageable sur une longue durée. Soit le régime, poussé dans ses derniers retranchements par une opposition de plus en plus puissante et déterminée, tente une diversion en provoquant Israël, qui ne demande qu'un prétexte pour détruire le potentiel nucléaire et certains sites militaires iraniens. Soit Tel-Aviv finit par obtenir le feu vert de Washington et prend l'initiative d'une telle attaque. Soit, enfin, l'opposition iranienne tient bon, transforme son mouvement en insurrection populaire, et arrive à faire tomber le régime, ce qui est de loin le scénario idéal pour les puissances occidentales. Dans tous les cas, l'Iran pourrait connaître des bouleversements et marquer l'année qui s'ouvre par son actualité.