Selon le rapport de l'Inspection générale des finances, BRC a bénéficié d'un grand nombre de contrats gré à gré, notamment avec Sonatrach, et en a profité pour facturer ses prestations de manière plus que fantaisiste. Brown Roots and Condor était une entreprise mixte de droit algérien opérant dans l'ingénierie pétrolière et de construction. Créée en 1994, elle était contrôlée à 51% par des intérêts algériens (Sonatrach 40% et le Centre de recherche nucléaire de Draria 11%) et par Kellogg Brown&Root (49%), qui était alors une filiale du groupe américain Halliburton (KBR est redevenue une société indépendante). aStatutairement, les activités de BRC étaient censées se limiter à l'engineering pétrolier et gazier : raffinage, pétrochimie, architecture et génie civil. Or, au fil des années, elles se sont considérablement étendues. En 2000, l'entreprise a commencé à intervenir activement dans la réalisation d'infrastructures. Et à partir de 2003, elle réalise dans ce domaine l'essentiel de son chiffre d'affaires. BRC était, pour ainsi dire, une entreprise florissante qui employait plus de 1 100 salariés, avec un chiffre d'affaires de 20 milliards de dinars en 2006. Mais cette entreprise s'est trouvée sous les projecteurs à partir de 2006, la presse faisant écho d'irrégularités dans l'obtention de certains marchés, comme la surfacturation ou le marché de gré à gré. Tout commence, donc, en février 2006. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, charge l'Inspection générale des finances (IGF) d'enquêter sur les marchés conclus par Sonatrach et le ministère de la Défense avec BRC. Au mois de juillet de la même année, l'IGF remet ses conclusions aux autorités. Elles sont accablantes. Le rapport, dont la presse avait fait écho, met en évidence une série d'irrégularités dont le Trésor public est la principale victime : violation du code des marchés publics, recours systématique à la sous-traitance au détriment des deux clients algériens, surcoûts, détournements de contingents de franchises fiscales, achat de mobilier et d'équipements coûteux auprès de fournisseurs étrangers. Au total, quarante et un marchés de gré à gré ont été conclus avec BRC, pour un montant total de 185,7 milliards de dinars (2,1 milliards d'euros). Vingt-sept l'ont été par Sonatrach et quatorze par le ministère de la Défense. Selon ce rapport, la société Sonatrach a anormalement érigé en règle la procédure exceptionnelle de la passation de contrats de gré à gré. Le recours abusif à cette procédure constitue une violation des dispositions régissant les procédures de passation de marchés. Si au niveau de Sonatrach, on a évoqué le caractère urgent des projets, le rapport de l'IGF précise que “ce mode de passation de gré à gré a été expressément autorisé sous forme de décisions d'accord prises par le P-dg, sous le sceau de l'urgence alors que la nature de ces projets ne le justifiait pas”. En général, les textes régissant les passations de marchés à Sonatrach stipulent que l'appel d'offres ouvert, national ou international, doit être lancé pour l'ensemble des projets. Le recours au gré à gré n'est possible que lorsque l'appel d'offres s'avère à plusieurs reprises infructueux, ou lorsque l'urgence est signalée. Ce n'est pas l'unique anomalie révélée par le rapport de l'IGF. La quasi-totalité des contrats obtenus par BRC l'ont été par le recours à la formule dite engineering, procurement, construction (EPC), autrement dit “clés en main”, qui permet au donneur d'ordre d'attribuer le contrat à un entrepreneur (le maître d'œuvre) qui se charge des études, des commandes d'équipements et de fournitures, de l'attribution des travaux de sous-traitance et de la supervision de l'ensemble des travaux. Les contrats passés avec BRC sont, selon l'IGF, incompatibles avec “les dispositions du décret présidentiel n°02/250 du 24 juillet 2002 relatif à la réglementation des marchés publics”. À signaler également le recours excessif à la sous-traitance pratiquée par BRC. La construction et l'achat de matériels ont été entièrement sous-traités. L'engineering l'a également été, parfois, partiellement ou en totalité. Selon les dispositions contractuelles, les sous-traitants peuvent à leur tour sous-traiter tout ou en partie des prestations et travaux. Le rôle de BRC s'est limité à faire l'intermédiaire. “Pour certains projets, l'entreprise s'est octroyé des marges bénéficiaires atteignant 65% du coût global. Souvent, les prix ont été multipliés par 20. Une règle appliquée pour l'équipement des deux tours abritant le siège du ministère de l'Energie. L'entreprise nationale a payé des sommes faramineuses pour leur ameublement. Pour la réalisation d'un parking-restaurant au profit de Sonatrach, BRC a sous-traité avec une entreprise libanaise et a acquis une marge bénéficiaire de l'ordre de 62%. La réalisation du club pétrolier de Zéralda a coûté 124 millions de dinars. Or, BRC a sous-traité pour une valeur de 644 millions de dinars, soit un écart de 62%. Pour le cas de la piscine olympique qui se trouve près du siège de Sonatrach, la déclaration d'importation relative à la fourniture de la structure métallique de la piscine montre que la valeur de ces fournitures ne dépasse pas 50 864 169 DA. Or, BRC a adressé une facture d'un montant de 272 millions de dinars. L'écart est estimé à 436%. Mieux encore, pour la réalisation de cette piscine olympique, le contrat est libellé d'une partie en dinars d'un montant de 62 millions de dinars et d'une partie en dollars. Ce qui constitue une singularité dans un contrat qui lie deux personnes morales de droit algérien installées en Algérie. Bien entendu, tout cela a entraîné pour le Trésor algérien d'importants surcoûts”, lit-on dans le rapport. Par ailleurs, dans le cadre de ses activités de recherche, de prospection et de transport des hydrocarbures, BRC s'est vu attribuer par l'administration fiscale des contingents d'achats en franchise : 80,93 milliards de DA (859 millions d'euros) entre 2001 et 2005. Après enquête, les inspecteurs ont découvert que l'entreprise avait détourné ces contingents pour obtenir indûment des franchises de TVA pour l'acquisition de cabines sahariennes, de divers matériels et d'outillage pour un montant de 61,19 millions de DA (675 000 euros). Pour l'IGF, il s'agit tout simplement de fraude fiscale. Le scandale financier, qui a ébranlé sérieusement cette entreprise, n'a pas tardé à faire son effet. Après les contrats résiliés par certains clients en attendant le dénouement de cette affaire devant la justice, l'idée d'une dissolution pure et simple de la compagnie a été évoquée. Finalement, la dissolution n'a finalement pas eu lieu et l'entreprise mixte algéro-américaine est devenue totalement algérienne après que Sonatrach eut racheté les parts de la filiale américaine (KBR) de BRC. Par ailleurs, le volumineux dossier BRC a atterri au tribunal de Bir-Mourad-Raïs, près la cour d'Alger. De nombreux hauts responsables, des cadres de la compagnie et même Moumen Ould Kaddour, directeur général de la BRC au moment des faits, ont été entendus. 45 personnes ont ainsi été entendues, dans le cadre de l'enquête entreprise par le tribunal de Bir-Mourad-Raïs. L'enquête sur cette affaire a été entourée d'une grande confidentialité, le doyen des juges d'instruction du tribunal de Bir-Mourad-Raïs a auditionné, lui-même, les personnes concernées par l'affaire, sans présence d'un greffier souvent, et ce, afin d'éviter que des renseignements filtrent, d'autant que cela coïncidait avec une autre affaire dans le même dossier et qui est l'accusation portée par la justice militaire à Abdelmoumen Ould Kadour, directeur général de la BRC au moment des faits, et d'autres hauts responsables de l'Etat, dont des officiers de l'armée. L'accusation en question était “espionnée pour le compte d'un pays étranger et atteinte à la sécurité de la nation”. Le scandale financier BRC a poussé le président Abdelaziz Bouteflika à revoir le contrôle des entreprises publiques. Jusque-là, ce contrôle s'effectuait selon le code du commerce régissant les entreprises économiques publiques et privées. Mais le scandale de BRC a révélé l'inefficacité des contrôles classiques prévus par la réglementation en vigueur concernant la gestion des entreprises publiques économiques (EPE). Et l'IGF n'intervient que lorsque la situation est vraiment pourrie et lorsqu'il y a de la dilapidation de l'argent public. En plus du travail exigé de la justice, des garde-fous en amont sont plus que nécessaires pour éviter à l'avenir que ces pratiques se reproduisent. - À signaler également le recours excessif à la sous-traitance pratiquée par BRC. La construction et l'achat de matériels ont été entièrement sous-traités. L'engineering l'a également été, parfois, partiellement ou en totalité. Selon les dispositions contractuelles, les sous-traitants peuvent à leur tour sous-traiter tout ou en partie des prestations et travaux. Le rôle de BRC s'est limité à faire l'intermédiaire.