Décidément en ces temps de crise, un dialogue de sourds s'instaure systématiquement entre les acteurs et les institutions économiques et les commerciaux internationaux lorsqu'il s'agit de défendre leurs intérêts et leurs parts de marché. L'équilibre entre les différentes formes d'ouverture économiques et la sauvegarde des intérêts nationaux a été et demeure difficile à trouver chez nous comme ailleurs. Cela ouvre la voie aux pressions diverses et autres malentendus. Voyons deux exemples : Commençons par l'Algérie. Ainsi par exemple Tomas Dupla Del Moral, directeur de la Méditerranée du Sud et du Moyen-Orient de l'Union européenne (UE), lors de sa visite à Alger n'a seulement retenu que le fait qu'en 2009 “les importations en provenance de l'UE n'ont pas beaucoup évolué”, oubliant que depuis la mise en œuvre de l'accord d'association en 2005, les importations algériennes auprès de l'UE ont fait un bond de 80%, passant de 11,2 milliards $ à 20,8 milliards $ à fin 2008. À l'inverse, on voit bien que le déséquilibre est bien la règle implicite de cet accord lorsque par exemple les engrais algériens font l'objet de taxes antidumping sur les marchés de l'UE, alors que cette dernière est importatrice nette de ces produits. Alors établir, comme le souhaite avec insistance l'UE, un accord stratégique sur l'énergie servirait à quoi ? S'agit-il de nous faire signer le même “contrat d'adhésion” comme disent les juristes, que celui que vient de signer l'UE avec l'Irak garantissant ses approvisionnements d'hydrocarbures provenant de ce pays en contrepartie d'une aide pour mettre en place un réseau de distribution énergétique irakien ? Dans ce cas, ce n'est pas la peine car l'Algérie n'a pas attendu cet accord pour développer ses réseaux énergétiques domestiques. Quant “au non-respect par l'Algérie des clauses 37-1 de stabilité et 37-2 de non-discrimination de l'accord d'association” du fait des mesures prises pour affronter la crise, il faudrait renvoyer Tomas Dupla Del Moral aux nombreuses clauses du Traité de Lisbonne, acte fondateur de l'UE, violées pour les mêmes raisons par beaucoup de pays membres. En tout cas, il y aura du pain sur la planche pour la réunion du conseil d'association prévue en juin prochain, même si la position de l'UE sur le “double prix de l'énergie” s'améliore. À l'étranger, d'autres formes de pression sont testées. Ainsi dans un registre finalement similaire, l'OCDE — qui vient de publier un rapport intéressant sur la Chine — avance l'idée par la voix de David Herd, un de ses économistes, que “la réévaluation de la monnaie chinoise dans le contexte actuel aiderait à prévenir l'inflation”. Formellement, les inquiétudes de cette institution portent sur deux aspects : l'augmentation du niveau d'inflation qui a atteint 1,6% en décembre 2009 et la possibilité de création d'une bulle immobilière. Quant aux raisons cachées, il y a probablement le désir de sauvegarder par la réévaluation du yuan la compétitivité des produits de la zone OCDE, notamment l'Europe qui fait face à une désindustrialisation rampante. À cela Fan Gang, professeur d'économie à l'université de Pékin, semble répondre qu'on a déjà donné. Il rappelle dans un point de vue publié par le quotidien économique français La Tribune du 5 février que “des mesures pour ralentir la croissance des exportations — y compris une réévaluation de 20% du yuan et une réduction importante des remises de droits de douanes pour les exportations — ont fait passer fin 2007 le taux de croissance annuel des exportations de 30% à 17%”. Il termine en écrivant quelque- chose qui devrait s'appliquer chez nous : “La morale est qu'il faut gérer les phases de prospérité avec habilité.” Les Etats-Unis semblent faire preuve, quant à eux, de plus de pragmatisme et d'efficacité que l'UE dans le traitement de l'après-crise disposant, il est vrai, d'une économie “plus résiliante aux chocs”. Ainsi pour illustrer mon propos, prenons l'aspect qui nous intéresse le plus, celui relatif au taux de change du dollar qui continue de se raffermir face à l'euro, comme je l'avais déjà signalé dans ces mêmes colonnes. Partant du fait que 70% de leur dette appartiennent à des non-résidents (Chine, Japon, pays de l'Opep), les Etats-Unis ont compris qu'il est essentiel pour eux de “les fidéliser, notamment en évitant que le dollar continue de se déprécier”, comme l'indique dans le quotidien français cité plus haut, Bernard Marois président du Club Finance HEC. C'est exactement ce qu'ils font. Quant à la résilience de leur économie, elle m'est apparue clairement dans l'émission télévisée de la chaîne CNBC Keeping America Great — enregistrée le 11 décembre 2009 — qui avait comme invités les deux champions de générations différentes — de l'économie américaine Warren Buffett et Bill Gates répondant aux questions des étudiants de la Columbia Business School. Dans l'ambiance studieuse et détendue de leur émission, j'ai retenu deux de leurs questions sur les leçons à tirer de la crise : quel sera le secteur d'activités qui produira le prochain Bill Gates et quelle sera la prochaine bulle qu'il faudra anticiper ? La réponse donnée par Bill Gates à la première question nous intéresse directement : l'énergie propre “clean energy”. Avec en plus la mise sur le marché de leur gaz naturel “non conventionnel”, les pays exportateurs d'hydrocarbures ont de quoi s'inquiéter. Le compte a rebours a commencé, surtout pour nous.