Changement de décor pour ce Maghreb des livres, habituellement tenu à l'Hôtel de ville de Paris, Georges Morin, fondateur et président de l'association Coup de soleil, organisatrice de l'évènement, a cédé sous l'insistance de Driss El-Yazami, de l'association Génériques, pour organiser cette nouvelle édition spéciale Algérie, là où se trouve la grande exposition “Générations : un siècle d'histoire culturelle des Maghrébins en France”, à la nouvelle Cité nationale de l'histoire de l'immigration. Cette cité est abritée dans le grand palais de la Porte Dorée dans le 12e arrondissement de Paris. Construite en 1931 à l'occasion de l'Exposition coloniale internationale, l'imposante bâtisse de seize mille mètres carrés affiche toujours sur sa façade ouest les noms des grands colonisateurs français des siècles passés. Sous l'intitulé “À ses fils qui ont étendu l'empire de son génie et fait ainsi aimer son nom au-delà des mers, la France reconnaissante”, on peut lire une liste exhaustive de ces noms et leurs conquêtes gravées sur le béton, mais pas des massacres qu'ils ont occasionnés, et dont l'addition frise le génocide… Mais à l'intérieur, c'est plutôt la grande librairie du Maghreb des livres qui a conquis l'intérêt des milliers de visiteurs qui ne remarquent même plus les fresques qui glorifient le “rôle positif de la colonisation”, à l'exception de certains, tel Djohar Sidhoum Rahal, philosophe et poète en France, auteur dans le Petit précis de remise à niveau sur l'histoire africaine à l'usage du président Sarkozy (éd. La Découverte) qui découvrait, horrifié, ces illustrations colonialistes si bien conservées. Pour l'écrivaine Maïssa Bey, rencontrée entre deux stands, bien qu'elle soit “très admirative des lieux”, elle trouve que “c'est un juste retour des choses qu'ils soient occupés par des livres écrits par des Maghrébins qui s'expriment en français… un bienfait de la colonisation pas tout à fait prévu”. En effet, la majeure partie des livres exposés sont en langue française, et cela pose quelques problèmes à certains visiteurs, comme cette jeune Parisienne, casque de scooter dans une main, un livre sur l'histoire d'Algérie, une BD d'humour et un Coran dans l'autre, et qui a “énormément de difficultés à trouver des livres en arabe” alors qu'elle pensait que “c'était le bon lieu pour ça”. Une femme, les deux bras chargés de livres, nous dit qu'elle a pris “des livres sur la culture berbère et des livres écrits en berbère, il n'y en a pas beaucoup, dit-elle, donc il a fallu vraiment les chercher”, mais elle se consolera avec le dernier ouvrage de Kamel Bouamara, pour lequel elle est venue spécialement. Même Ali Bey, de la librairie du Tiers Monde de la place Emir-Abdelkader d'Alger, un inconditionnel du Salon depuis sa première édition, déplore le manque d'ouvrages de référence en langue arabe, comme les dictionnaires et les livres d'apprentissage. Il regrette aussi “de voir autant de productions d'auteurs algériens qui ne sont pas disponibles en Algérie à cause des importateurs”. On pouvait néanmoins rencontrer Habib Ayyoub dédicaçant son dernier livre paru chez Barzakh, l'Homme qui n'existait pas, Lazhari Labter ou Mohamed Benchicou, pour l'édition française, de leur dernier opus, ainsi que l'omniprésente Wassyla Tamzali, “féministe maghrébine” autoproclamée, éditée chez Gallimard. Toutefois, pour Georges Morin, il faut être clair, l'évènement vise d'abord un public français, donc francophone, il ne s'agit aucunement de faire de la “culture ghetto, le Maghreb pour les Maghrébins. Ce sont les Français qu'il faut convaincre, parce que ce sont eux qui se posent des questions par rapport au Maghreb. Notre volonté, c'est de faire en sorte que les gens de France connaissent mieux le Maghreb qu'ils ne le connaissent à travers le journal télévisé du 20H”. Avec plus de 2 000 titres répertoriés, ils avaient largement de quoi mettre à jour leurs connaissances, surtout que sur les 190 auteurs invités, 137 ont répondu présents, dont 14 venus spécialement d'Algérie. Parmi eux, la présence remarquée du dessinateur Slim aux côtés de Gyps et de Dahmani. Slim a signé son album Walou à l'horizon, et était accompagné d'Omar Zelig, son premier “biographe officiel” qui signait Slim, le Gatt et moi (éd. Dalimen), un ouvrage qui a beaucoup enthousiasmé Lyes Salem, le réalisateur du film Mascarades, rencontré en compagnie de Sofiane Hadjadj. Georges Morin a tenu à ajouter que “ce seizième Maghreb des livres était placé sous l'égide de trois grands écrivains d'Algérie, Albert Camus qui est mort il y a 50 ans, Yacine Kateb qui est mort il y a 20 ans, et Rachid Mimouni qui est mort y a 15 ans. Ce dernier a d'ailleurs été le premier à proposer l'idée d'un Maghreb des livres au sein de l'association Coup de soleil”. C'est probablement ce parrainage si inimaginable, à partir des terres du Maghreb d'aujourd'hui, qui peut expliquer pourquoi cette rencontre a lieu en France avec un si grand engouement des auteurs et visiteurs, en dépit de la pluie, du froid et de l'étrange décalage entre le lieu fleurant encore “le temps heureux des colonies” et les ambitions fraternelles de l'événement.